
DÉBAT - “Nous étions en avance et nous aurions pu le rester si des forces rétrogrades n’avaient pas bloqué le processus”. Le constat de Noureddine Ayouch, président du Collectif démocratie et libertés (CDL), est sans appel. Dans une déclaration au HuffPost Maroc, il considère que les libertés individuelles au Maroc auraient pu se concrétiser dans le sillage de “la courageuse” réforme du code de la famille ou encore de la constitution. “Mais des partis se sont opposés aux libertés individuelles, prétextant que le Maroc dispose d’une monarchie avec un Amir Al Mouminine (commandeur des croyants). Mais cela n’a rien à voir avec les libertés individuelles”, précise-t-il.
Pour Noureddine Ayouch, il est amplement légitime de relancer le débat sur le sujet. Le CDL compte ainsi organiser ce vendredi 22 et samedi 23 juin, à Casablanca, un colloque international sur la question. Objectif: ouvrir un dialogue avec toutes les parties qui y sont liées: autorités gouvernementales, partis politiques, politologues, sociologues, avocats, écrivains, chercheurs et médias. Le débat s’articulera autour de droits humains reconnus mais non appliqués, ainsi que sur des lois “contraires aux libertés individuelles”. Le colloque se penchera, entre autres, sur le droit des minorités religieuses au Maroc, l’équité dans l’héritage ou encore de la liberté de disposer de son corps et de sa sexualité. Idées et témoignages, le débat présentera également les expériences arabes en la matière, notamment en Tunisie.
Frilosité politique
“Parler des libertés individuelles, c’est fondamental, car une société ne peut évoluer sans les reconnaître. Pourtant, en 2018, le Maroc est en train de faire des pas en arrière et cela est inadmissible”, fustige Noureddine Ayouch. Et de regretter que la Fondation du roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines ait refusé d’accueillir le colloque alors que le CDL est habitué à y tenir ses manifestations. Pour Ayouch, il y a bien une explication à cette exception: le sujet du débat, d’une part, et le fait d’autre part que le directeur général de la Fondation n’est autre que le ministre des Affaires islamiques et des Habous, Ahmed Taoufiq.
Le ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, qui devait inaugurer ce colloque, semble avoir également changé d’avis. “Il ne nous a donné aucune réponse, mais nous avons appris de sources externes qu’il ne viendra pas. Par contre, Nabil Benadellah, secrétaire général du PPS, s’est désisté”, confie le président du collectif. Nabil Benadellah devait en effet inaugurer le colloque aux côtés de Aujjar.
Le Rassemblement national des indépendants (RNI), parti auquel appartient Mohamed Aujjar, comme le Parti du progrès et du socialisme (PPS) ne sont pas les seuls à avoir décliné l’invitation à ce colloque, puisque d’autres partis leur ont emboîté le pas. “Nous avons invité des partis de toutes les tendances, de la gauche, de la droite et du centre. Le PAM dit qu’il n’a pas le temps, l’Istiqlal qu’il n’a pas pris de position claire sur le sujet...”, déplore Noureddine Ayouch. Et d’ajouter avoir tenté, à plusieurs reprises, de relancer le PJD et le chef du gouvernement en vain. “Nous les avons invités et relancé, mais toutes nos tentatives ne sont pas parvenues à les persuader. J’ai eu aussi des discussions avec des responsables du PJD et le chef de cabinet de Saad-Eddine El Othmani, pour venir participer au colloque, mais cela n’a rien donné”, regrette le président du CDL, qui y voit “un manque de courage” des partis politiques. “Il s’épient entre eux et aucun n’ose se présenter rien que pour parler dans un endroit clos. Ce n’est pas ainsi qu’on changera le pays!”, s’exclame Ayouch.
Un changement difficile à amorcer
“Un manque de courage politique” doublé d’une hésitation face à la modernité. Pour le président du collectif, le Maroc réagit contre les violences que subissent les victimes du non respect des libertés individuelles mais “sans aller vers le changement des lois rétrogrades ou les enlever”. Le CDL constate “un retour à une certaine forme de religiosité rigoriste et défavorable aux libertés individuelles et au droit à la différence”. Un état des lieux qui peut s’avérer dangereux pour la sécurité physique des personnes visées.
Des exemples, le comité en cite quelques-uns, dont le cheikh Abdellah Nahari qui a appelé à la mort d’un journaliste pour avoir défendu la liberté sexuelle de sa mère sur une chaîne télévisée, ou encore ces élèves expulsés de l’école pour un baiser... Le comité pointe du doigt plusieurs lois dans le code pénal qui s’opposent aux libertés individuelles. Les plus importantes qu’ils citent concernent les articles 220 (ébranler la foi d’un musulman), 221 (désordre de nature à en troubler sérénité d’un culte), 222 (rupture du jeûne du Ramadan), 489 (acte impudique ou contre nature avec un individu du même sexe) et 490 (relations sexuelles hors mariage). A ces lois s’ajoute la problématique de l’héritage qu’évoque le CDL dans ce colloque comme une sorte de baromètre de la véritable reconnaissance de l’équité homme/femme.
“C’est honteux ce que nous vivons et les autorités doivent assumer leur responsabilité. Les partis sont frileux et nous ne pouvons, malheureusement, pas avancer sans une prise de position claire par rapport à ces lois dépassées”, estime Noureddine Ayouch, rappelant que des pays arabes, dont la Tunisie, ont largement dépassé le Maroc à ce niveau.
Rien, aux yeux du CDL, ne saurait légitimer le fait que l’être humain ne dispose pas des libertés primordiales, à commencer par celle de son corps. “La société se bat seule”, constate non sans amertume Noureddine Ayouch. Et d’estimer qu’“un Maroc tolérant doit éliminer tout ce qui empêche les libertés individuelles de s’exprimer, respecter ses citoyens et où chacun est responsable devant Dieu et non devant une autorité quelconque”.
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