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Interview de Riadh Chaïbi, démissionnaire d'Ennahdha

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Il y a plus de quatre mois, Riadh Chaïbi démissionnait du parti Ennahdha. Membre du Conseil de la choura et militant depuis presque trente ans, son départ n’a filtré dans les médias que trois mois plus tard, après une annonce officielle sur son compte Facebook. Il n’a donné ensuite que quelques interviews en arabe à l’agence de presse turque Anadolu puis au quotidien tunisien Assabah.

Très discret, cet homme qui a donné une partie de sa vie à Ennahdha revient sur les raisons de sa démission. Pour lui, le parti n’a pas tenu les promesses et les objectifs de la révolution. Il s’enlise aujourd’hui dans une crise politique qui menace, selon Riadh Chaïbi, la mise en place de la démocratie. Mais plus que l’enjeu de l’épreuve du pouvoir, Riadh Chaïbi reproche aussi le manque d’autocritique au sein du parti.

HuffPost Maghreb: Cela fait presque trente ans que vous êtes membre du parti Ennahdha. Pourquoi avez-vous démissionné?

Riadh Chaïbi: J’ai été très actif au sein du parti Ennahdha dès mon engagement en 1984. J’ai passé cinq ans en prison et après la révolution ensuite j’ai été membre du bureau politique du parti puis membre exécutif jusqu’au congrès. C’est l’idéologie islamique qui m’a attirée dès le début. Pendant la période de la révolution, j’étais membre de la Choura, organe décisionnel du parti, j'y ai siégé jusqu’à ma démission. Nous avions des objectifs qui allaient avec la révolution, la liberté, la dignité humaine et sociale. Pour moi, chaque parti aurait dû avoir la réalisation de ces objectifs en tête. Le parti Ennahdha n’a pas pris ce chemin et donc j’ai remis en question mon engagement.

Les choix politiques d’Ennahdha ne vont pas vers la construction d’une base solide pour la démocratie. C’est pour cela que j’ai démissionné tout simplement. Je n’ai pas voulu rendre ma démission publique au début car Ennahdha était dans le collimateur des médias et de l’opposition et le pays traversait une crise politique très grave, on était à la fin du mois d’août et le pays était paralysé par l’arrêt des travaux de l’Assemblée, je voulais éviter d’en rajouter. Et puis j’avais peur que cela soit réutilisé politiquement, mon but n’est pas de nuire à Ennahdha.

Qu'est ce qui vous pousse à dire qu’Ennahdha "ne va pas vers une démocratie"?

Depuis la révolution, il y a un conflit entre des forces révolutionnaires et des forces d’opposition. Pour moi, ces conflits alliés à des intérêts et des luttes de pouvoir empêchent toute avancée. Le dialogue national n’aboutit à rien, nous n’avons pas trouvé des accords pour aller vers des élections. C’est un échec. Et le parti Ennahdha même s’il n’en est pas entièrement responsable, ne va pas vers une solution. Ce qui m’a choqué c’est aussi le changement de comportement vis-à-vis de l’ancien régime. J'ai eu l’impression que certains membres du parti Ennahdha ont oublié ce qui s’est passé durant la période de Ben Ali. Mais pour moi le point de non-retour a été la fin du mois d’août quand j’ai constaté l’échec du dialogue national et l’enlisement de la crise.

Pourquoi le dialogue national qui continue encore aujourd’hui est-il un "échec" ?


Ennahdha n’est qu’un acteur parmi d’autres du dialogue national mais il est le parti majoritaire donc il doit assumer des responsabilités. Après, cet échec est bien sûr causé aussi par d’autres partis obsédés par l’idée de faire échouer Ennahdha sans autre alternative. L’échec c’est l’incapacité à aller de l’avant et à trouver une solution ou un compromis. On a donc une tension entre ceux d’Ennahdha qui veulent rester à tout prix au pouvoir et d’autres partis qui veulent faire échouer le parti Ennahdha. Il n’y a pas vraiment d’entre deux ni de réelle possibilité de dialogue.

L’argument de la légitimité des urnes est-il le principal atout d’Ennahdha pour rester au pouvoir? Ou pensez-vous qu’il y a aussi la peur d’une répression comme dans le cas des Frères musulmans en Egypte?

Oui la peur d’un scénario non pas similaire mais ressemblant à l’Egypte existe chez les islamistes d’Ennahdha, mais le problème n’est pas vraiment là. Pour moi, l’enjeu aujourd’hui c’est que toute la Tunisie risque de perdre le défi d’une transition démocratique.

Comment les membres du parti ont-ils pris votre démission? Est-ce que d’autres seraient prêts à vous suivre?


Vous savez, beaucoup m’ont dit que j’avais raison même s’ils ne feront jamais la même chose. Il y a pourtant eu quelques autres démissions, Amor Ouled Ahmed, aussi membre de la Choura, et jeune leader de la révolution à Sidi Bouzid, a démissionné début novembre. Cela affecte aussi bien les anciens que la jeunesse du parti. Un autre membre du parti a également démissionné à Beja, Férid Medini. Tous pour les mêmes raisons que moi.

Il y aurait donc une déception assez présente chez certains membres à l’égard du parti ? Comment cela se traduit-il en interne pour un parti qui a toujours présenté une façade unifiée, surtout au sein de l’Assemblée où les députés d’Ennahdha votent très souvent unanimement?

Oui, je pense que si le lien de "solidarité" historique des années de répression n’existait pas, certains leaders n’hésiteraient pas à présenter leur démission. Aujourd’hui, ce qui fait encore tenir le parti, c’est qu’il reste une grande famille avec des liens de loyauté très solides mais les prises de décisions politiques et le mode de gouvernance ne rencontrent plus l’unanimité.

Est-ce que selon vous ces désaccords ont commencé avec la prise de position d’Hamadi Jebali lorsqu’il était Premier Ministre?
Après la mort de Chokri Belaïd, il avait manifesté sa volonté d’aller vers un gouvernement d’union nationale et de démissionner en cas d’échec, une décision qui semblait avoir été faite sans consulter le parti.


Cette action de Hamadi Jebali a eu son impact mais les relations de solidarité au sein du parti entre des militants historiques qui ont fait de la prison et qui ont enduré la dictature empêchent une réelle remise en question de la hiérarchie du parti, du mode de prise de décision. Il n’y a d’ailleurs pas de possibilité que le parti implose totalement mais par contre, les contradictions y sont de plus en plus visibles.

Quelles sont ces contradictions?


Pour moi, la plus importante reste la question de l’alliance avec l’ancien régime. L’un de ses exemples reste celui de la rencontre entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi.

Mais cette rencontre et les autres qui ont suivi n’étaient-elles pas un acte de pragmatisme politique? C’est-à-dire une tentative de dialogue entre deux ennemis face à la crise politique?

Tendre la main à ces gens ou même faire des compromis avec eux n’est que le résultat de tout un processus. On ne peut pas juger seulement le résultat de cette rencontre sur le parti, il faut voir pourquoi nous avons été amenés vers cela. L’une des raisons est que le gouvernement n’a pas avancé d’un pouce sur le processus de justice transitionnelle dont un projet de loi a pourtant été déposé à l’assemblée par le Ministère des droits de l’homme. Ce processus, s’il avait été correctement enclenché, aurait permis de dépasser les sentiments et les passions qui dominent aujourd’hui les débats politiques et médiatiques. Nous sommes encore dans l’émotionnel alors que la question reste de savoir si ces gens avaient participé à la dictature et de quelle manière. Puis, il faut juger ceux qui ont commis les crimes et permettre une réintégration politique à ceux qui veulent construire la démocratie. Nous n’avons fait qu’effleurer ce processus, certains membres de l’ancien régime ont été mis en prison puis relâchés, aucune autocritique n’a été faite, aucune responsabilité morale n’a été endossée par ces gens là et pour moi cet enjeu concerne tous les Tunisiens. L’objectif n’est pas de punir mais il faut que toute la société tunisienne sache ce qui s’est passé sous Ben Ali. Il faut qu’il y ait un travail de mémoire et d’autocritique pour que nous puissions aller de l’avant.

Vous avez dit qu’il n’y pas un risque d’implosion totale du parti mais pourtant, Ennahdha continue d’essuyer les critiques et le mécontentement se fait sentir aussi dans les bases plus jeunes du parti, Ennahdha a-t-il une chance de tenir jusqu’aux prochaines élections?

Le parti vit la crise politique qui touche tout le pays mais aussi une crise structurelle en interne. L’enjeu n’est pas seulement de sortir du pouvoir, mais d’avoir le pouvoir de faire changer les choses. Aujourd’hui, l’épreuve du pouvoir que traverse Ennahdha ne lui a pas permis de trouver une place dans la société tunisienne. Avant et pendant les élections, Ennahdha avait su se construire une assise populaire grâce à un travail de terrain et un accent sur le volet social.

Maintenant, l’aspect social semble très loin des préoccupations dans les débats internes du parti. Ennahdha restera un grand parti mais il doit se remettre en question par rapport à ses bases, il n’a plus le même poids ni la même légitimité qu’avant auprès du peuple tunisien, il y a beaucoup de déçus, cela est indéniable. Et cela n’est pas lié qu’au climat politique, c’est aussi un problème qui touche à la structure même du parti.

Est-ce qu’Ennahdha reste démocratique dans son fonctionnement interne ou sentez-vous que le mécontentement des partisans porte aussi sur la prise de décision qui reste très centralisée autour de certains leaders?
Il y a une démocratie au sein du parti mais cela reste une démocratie formelle et pas essentielle. Autrement dit, vous pouvez dire ce que vous voulez mais vous n’avez pas la garantie que votre voix sera entendue dans la prise de décision finale.

Rached Ghannouchi a-t-il toujours autant de poids dans les décisions ou est-il confronté à d’autres membres plus imposants?

Rached Ghannouchi reste le vrai leader du parti, il a son cercle qui va dans le sens de ses choix.

De votre côté, la démission ne s’accompagne pas d’un désengagement politique puisque vous avez annoncé vouloir créer un autre parti, quelles leçons retenez-vous de votre expérience au sein d’Ennahdha ?

Je suis militant et je le resterai. Je pense qu’on ne peut pas réussir notre démocratie sans avoir des partis politiques modernes et forts qui créent un certain équilibre des forces dans la vie politique pour faciliter une transition pacifique du pouvoir. J’essaye avec un groupe de jeunes cadres tunisiens de diverses sensibilités de fonder un parti politique social et démocrate pour instaurer une alternative qui défend les principes de la justice sociale, et le développement économique.

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