VIE DE FAMILLE - L'an dernier, lorsque je suis devenue mère, la chose qui m'a le plus surprise, c'était les pleurs incessants de mon fils. La première semaine, il était calme, et puis tout a changé.
Quand il ne mangeait ou ne dormait pas, il passait son temps à s'agiter, battant l'air de ses petits bras frêles en poussant des gémissements ou même en hurlant tandis que mon mari et moi courions dans tous les sens, tentant de l'emmailloter, de le bercer ou de le prendre dans nos bras et de sauter sur la balle d'accouchement jaune banane.
L'art de "profiter" des six premières semaines de bébé
Une amie qui avait accouché quelques mois auparavant m'a prêté un livre sur l'art de "profiter" des six premières semaines de bébé, et je me souviens d'avoir regardé la couverture d'un air profondément consterné. Je savais que le bébé de mon amie n'était pas réglé comme une horloge, contrairement à ce que recommandait le livre, mais j'avais néanmoins l'impression qu'elle estimait que certains de ses conseils étaient judicieux ("Couchez bébé et allez faire une sieste!", "Profitez que bébé est encore petit pour aller au restau avec lui!"). En ce qui nous concerne, nous étions trop occupés à survivre pour appliquer ces charmantes recommandations.
Un bébé très en demande
Les gens ont avancé différentes hypothèses pour expliquer le mal-être apparent de notre fils. Son pédiatre nous a dit qu'il avait des coliques. Pas la version horrible qui fait hurler un bébé dix heures par jour non-stop, mais suffisamment prononcée pour nous faire comprendre que quelque chose clochait. Notre doula a été la première à évoquer l'idée qu'il pouvait être l'un de ces bébés très en demande, lors d'une de ses visites post-accouchement, qu'elle a passée à essayer de le calmer, sans résultat. Je soupçonne aussi certains de nos proches de s'être dit que nous n'arrivions tout simplement pas à nous adapter à cette nouvelle vie. "Tous les bébés pleurent", nous rappelaient-ils pendant qu'il somnolait dans leurs bras, sans savoir ce qu'on endurait après leur départ.
"Notre bébé souffrait-il secrètement d'un mal inconnu?"
À cette époque, nous vivions comme des ermites à qui il manquait une case, nos journées semblaient durer 6 000 heures, et nous étions extrêmement frustrés de ne pas comprendre ce qui se passait. Avions-nous tiré le mauvais numéro? Étions-nous des chochottes? Notre bébé souffrait-il secrètement d'un mal inconnu? Maintenant que notre fils est devenu un petit bonhomme joyeux qui fait quasiment ses nuits, j'ai du mal à me remémorer cette période, mais les annotations sporadiques dans le journal que je tenais les quatre premiers mois de sa vie sont là pour me la rappeler:
" La nuit dernière, tu as pleuré pendant deux heures. C'était dur. Tu as fini par t'endormir, mais tu t'es réveillé après environ une heure et tu t'es remis à pleurer. On est crevés. Est-ce qu'on va réussir à dormir plus de 45 minutes d'affilée? Pourquoi est-ce que tu pleures comme ça?"
Quand je lis ces lignes, j'ai envie de dire à celle qui les a écrites: "Tiens bon! Tout finira par s'arranger." Mais je reste contrariée de n'avoir jamais identifié la cause de ces pleurs.
Comprendre les coliques
Quand les parents essaient de comprendre pourquoi bébé est inhabituellement irritable, le pédiatre commence toujours par vérifier qu'il n'a pas de problèmes de santé, comme une allergie ou des reflux. Si tel n'est pas le cas, le médecin a tendance à invoquer les coliques, qui se traduisent généralement par des pleurs de plus de trois heures par jour, plus de trois jours par semaine, sur une période d'au moins trois semaines.
10 à 26% des enfants souffrent de coliques
L'académie américaine de pédiatrie estime que 10 à 26% des enfants souffrent de coliques, sans qu'on en connaisse la cause. Le système nerveux ou digestif encore immature du bébé peut en être à l'origine, ou bien le type d'alimentation (du bébé ou de la mère). Des études récentes suggèrent que la flore intestinale, qui joue un rôle important dans la santé à plusieurs niveaux, serait l'élément déclencheur. Certains bébés ont trop de bactéries intestinales d'un certain type, ce qui cause la formation de gaz et provoque un sentiment d'inconfort chez l'enfant, qui devient agité.
"De nombreuses études sont en cours. Beaucoup de travaux sont consacrés aux causes intestinales (...) et à la maturation neurologique", explique Jennifer Murphy Simms, qui dirige le programme Fussy Baby à l'hôpital pédiatrique UCSF Benioff d'Oakland. Elle ajoute que les chercheurs tentent de trouver des remèdes, notamment du côté des probiotiques, mais que les résultats restent mitigés.
Le "PURPLE Crying", les pleurs de bébé atteignent leur intensité maximale
De nombreux docteurs parlent maintenant de "PURPLE Crying", un concept développé pour aider les parents à mieux comprendre cette période particulière (généralement entre la 2e semaine et le 3e ou 4e mois de l'enfant) où les pleurs de bébé atteignent leur intensité maximale. Dans le mot PURPLE, chaque lettre renvoie (en anglais) à une caractéristique des pleurs: pleurs d'intensité maximale au cours du 2e mois de l'enfant, côté imprévisible, refus d'être réconforté, expression de souffrance, durée (jusqu'à cinq heures ou plus par jour) et concentration des pleurs en soirée.
En ce sens, le concept de "PURPLE Crying" n'est pas si différent de celui des coliques. Il présente cependant les choses différemment, ce qui aide les parents à considérer cette période comme une étape normale du développement et non comme un problème.
Les pleurs font partie du comportement normal d'un bébé
"On part du fait – bien réel – que les pleurs font partie du comportement normal d'un bébé, ce qui aide à rassurer les parents en leur faisant comprendre que certains nourrissons pleurent plusieurs heures par jour, et qu'ils ne sont pas de mauvais parents s'ils n'arrivent pas à calmer leur enfant", explique le Dr Wendy Sue Swanson, pédiatre à l'hôpital pour enfants de Seattle.
En d'autres mots, tous les bébés passent par une période agitée dans les premiers mois de leur vie. Certains le font simplement beaucoup plus fort que d'autres!
Vers l'âge de 4 mois, moins de pleurs de bébé
Il se trouve que mon fils était l'un de ces bébés qui souffrent de coliques, ou qui passent par une période de pleurs plus intense que les autres. Peu importe l'étiquette qu'on met là-dessus. Je le sais parce que vers l'âge de 4 mois, sa personnalité a changé tout aussi radicalement que la première fois, mais en mieux.
Bien sûr, il lui arrivait toujours de s'énerver, mais il ne passait pas le plus clair de son temps à râler. Les pleurs incessants qui menaçaient l'équilibre de notre nouvelle famille se sont évanouis. Mon mari et moi n'avons pas osé évoquer ce changement pendant plusieurs semaines, de peur de briser l'enchantement, mais nous jubilions intérieurement!
Le bébé "très en demande"
Pour d'autres parents, la période qui signe normalement la fin des coliques passe et n'apporte aucun changement. Adrienne Hodges, qui a écrit sur son acceptation d'avoir un bébé "difficile", se souvient du désespoir qui s'est emparé d'elle quand elle a compris que les pleurs de sa fille n'allaient pas cesser de sitôt.
"J'espérais de tout cœur qu'elle avait des coliques, ce qui laissait entrevoir la lumière au bout du tunnel des quatre mois. Mais ça ne s'est jamais produit. J'arrivais toujours à la calmer, à condition de la garder dans les bras, sans jamais m'asseoir", raconte-t-elle. Elle a fini par se dire qu'elle avait un bébé très en demande, un concept popularisé par le pédiatre William Sears (gourou du fort attachement parental). Ces bébés sont extrêmement sensibles et réclament beaucoup d'attention, des traits de caractère qui ne disparaissent pas forcément avec l'âge.
Des parents incompris
Adrienne Hodges estime que son mari et elles ont dépensé des centaines de dollars pour trouver le produit miracle qui calmerait leur fille: berceau vibrant, nouveau matelas, couvertures spéciales pour emmaillotage, produits pour poussées dentaires, berceau à bascule à 200 $... D'après elle, les pédiatres qui suivaient sa fille se montraient assez blasés et ce n'est qu'en lisant sur internet les témoignages d'autres parents dans son cas qu'elle a pu trouver un peu de réconfort.
"Les parents se sentent incompris. Ils s'entendent dire des choses du type: 'Tu lui passes ses caprices', 'Tu ne le laisses pas se défouler en pleurant un bon coup' ou 'C'est à force de le porter tout le temps que tu l'as rendu-e comme ça'", renchérit la rédactrice freelance Holly Klassen. Elle a créé le site The Fussy Baby Site en 2007, à l'époque où son bébé de cinq mois passait ses journées à pleurer. Aujourd'hui, son fils a dix ans mais il est toujours très en demande. Il reste très sensible mais, en grandissant, il a appris à mieux gérer sa relation au monde et à tourner ses particularités à son avantage.
Des bébés plus difficiles que d'autres
"En revanche, les gens semblent n'avoir toujours pas compris que certains bébés sont plus difficiles que d'autres", déplore-t-elle. "Certains ont des besoins beaucoup plus importants et ils l'expriment bien plus vocalement que d'autres. C'est très difficile pour les parents, qui se sentent isolés, et compliqué de trouver une communauté où l'on se sent compris."
Soutenir les parents
Tous les spécialistes avec qui j'ai discuté s'accordent sur une chose: il est important d'aider les parents d'un bébé difficile en faisant preuve de la compassion et, si possible, en leur permettant de souffler un peu.
De nombreux hôpitaux, comme l'hôpital pédiatrique de Seattle, tentent d'apporter un soutien supplémentaire aux parents en les préparant au concept de "Period of PURPLE Crying" avant leur départ de la maternité.
Réussir à laisser bébé pleurer
"Une grande partie du travail consiste à faire comprendre aux parents qu'il n'y a rien de grave à mettre le bébé dans son berceau, sur le dos, et de quitter la chambre. Ils ont l'impression qu'ils n'ont pas le droit de faire ça et nous vivons dans une société qui ne veut pas entendre les bébés pleurer", ajoute le Dr Swanson. "Ça fait beaucoup de bien aux parents de s'entendre dire qu'ils ne pourront pas toujours arrêter les pleurs de leur bébé."
Des parents plus exposé à la dépression
C'est également très important de l'expliquer parce que s'occuper d'un bébé difficile et agité comporte de vrais risques. Quand on a un bébé qui souffre de coliques, on est plus exposé à la dépression post-partum, et tout porte à croire qu'un enfant qui pleure énormément a plus de risque d'être secoué.
La solitude des parents
Même quand la situation est loin d'être aussi critique, en tant que parent d'un bébé difficile, on peut se sentir très seul. Je me souviens très bien d'avoir été invitée à une soirée chez une amie qui avait un bébé d'environ un mois. Je le regardais, posé dans un coin, tranquillement installé dans son transat: il ne s'agitait pas dans tous les sens, il ne râlait pas. Il avait juste l'air bien.
J'en ai éprouvé de la jalousie et, bizarrement, de la colère. Contre mon propre enfant, mais aussi contre les parents de ce bébé zen. Je suis gênée à l'idée de n'avoir pas toujours été profondément reconnaissante en regardant mon adorable petit garçon en bonne santé. Je savais bien que tous les parents avaient leur lot de difficultés et que les nôtres n'étaient pas si terribles, mais les crises de coliques prennent tellement d'ampleur qu'on ne voit plus clair. On en est totalement submergé.
"On ne regrette rien, mais on est au bord de la crise de nerfs!"
"Je crois que le plus difficile, c'est d'aimer son enfant tout en brûlant de raconter aux gens à quel point il vous gâche la vie!", conclut Adrienne Hodges, qui dit avoir passé la période la plus critique maintenant que sa fille a neuf mois. "Les gens qui ne sont pas dans votre cas ont du mal à le comprendre. On ne regrette rien, mais on est au bord de la crise de nerfs!"
Ce blog, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Valeriya Macogon pour Fast for Word.
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