Lors des débats sur le projet de Constitution tunisienne, aucun article n'aura fait couler plus d'encre que l'article 6 relatif à la place de la religion et aux libertés de conscience et croyance.
Le blocage sur cet article se poursuivait encore tard dans la nuit du 22 janvier. Entre les tenants de l'interdiction de l'accusation d'apostasie et ceux de l'interdiction de l'atteinte au sacré, deux camps s'opposent et chacun à sa manière, ils ont porté un coup dur à la liberté d'expression. Chronologie d'un péché originel annoncé.
La première version déjà contestée
La première version de l'article 6 faisait déjà l'objet de quelques inquiétudes, par le caractère flou de certaines dispositions. L'Assemblée avait maintenu le rôle de l'Etat en tant que garant de la religion et du sacré, une disposition jugée trop vague et critiquée par la Ligue tunisienne des droits de l'Homme.
"Il faut lever le flou (...) sur l'article 6 qui donne à l'Etat le droit de parrainer la religion et de protéger le sacré qui peut aboutir à des interprétations menaçant la citoyenneté, les libertés", a estimé la Ligue.
Aucune mention de l'atteinte au sacré, deux tiers de voix favorables
Lors des débats sur l'article 6, des voix se sont élevées, particulièrement contre l'inscription de la liberté de conscience.
En effet, cet article a été vivement débattu, Azed Badi (Wafa) estimant que la liberté de conscience permettrait "aux satanistes et aux idolâtres d'organiser des manifestations publiques ou d'ouvrir des écoles pour propager leurs croyances".
"Est-ce la République de la révolution que nous voulons? Voulons-nous offrir la Constitution au peuple tunisien ou à l'Occident?", avait-il lancé.
Deux amendements visant donc à interdire la liberté de culte et de conscience ont été déposés. Le premier n'a recueilli que 35 voix favorables et le second 49, très loin de la majorité absolue requise.
Le premier amendement visant à interdire le "takfir" (accusation d'apostasie) a également été rejeté avec 96 voix favorables.
Par ailleurs, aucun amendement visant à interdire explicitement l'atteinte au sacré n'a été déposé. Seule la mention de la version originale, sur "l'Etat protecteur du sacré", instituant un flou volontaire autour de cette notion de "protection" a été gardée.
La version originale de l'article a finalement obtenu les voix favorables de plus de deux tiers des députés.
L'interdiction du "takfir" (accusation d'apostasie) ou le péché originel
Le soir de l'adoption de cet article, Habib Ellouze (Ennahdha) va pourtant mettre le feu aux poudres. Dans une déclaration radiophonique, il accuse le député Mongi Rahoui (Front populaire) d'être un "ennemi de l'Islam".
Cette intervention avait provoqué une vive émotion le lendemain matin à l'Assemblée et le débat sur l'article 6 a été relancé.
Plusieurs députés sont ainsi intervenus pour affirmer leur soutien à Mongi Rahoui. Ils ont appelé à ce que l'article soit révisé de nouveau pour y intégrer l'interdiction du "takfir".
Des voix s'étaient alors élevées contre cette inscription, jugeant qu'elle allait à l'encontre de la liberté d'expression, en vain.
Finalement, l'article a été amendé et adopté avec 131 voix favorables, 18 de moins que la version originale qui avait atteint la majorité des deux tiers.
"Cet article illustre au mieux ce que pouvait être un compromis impossible au départ et arraché au forceps après des mois d'âpres négociations entre les islamistes d'Ennahdha et l'opposition Démocrate", se félicitait Selim Abdessalem, député Nida Tounes.
Le même député a également affirmé que cet article faisait de la Tunisie le premier pays arabo-musulman à consacrer la liberté de conscience, alors même que cette disposition est clairement inscrite dans la Constitution algérienne.
"Si Habib Ellouze et ses acolytes avaient su, peut-être se seraient-ils tus et il ne se serait rien passé", a justement conclut Selim Ben Abdessalem.
La boite de pandore est ouverte
Mais si Habib Ellouze et ses acolytes avaient su, ils ne seraient peut-être pas tus, à la lumière des évènements qui ont suivi.
Le 9 janvier 2014, c'est le député Aymen Zouaghi qui ouvre le bal. Ce dernier n'aurait pas pu contenir son émotion après avoir visionné une feuille imprimée distribuée à certains députés dans l'après-midi. Cette feuille contenait des caricatures du Prophète Mohamed, publiées sur une page Facebook. Le but affiché de cette nouvelle polémique était de rouvrir le débat sur l'article 6 pour y inscrire la criminalisation de l'atteinte au sacré.
Une semaine plus tard, le conseil islamique et des associations se sont mobilisés pour demander la révision de l'article 6 du projet de Constitution et la suppression de "l'interdiction d'accusation d'apostasie".
Le conseil a proposé la suppression du principe d'interdiction d'accusation d'apostasie de la Constitution et de le remplacer par un texte de loi à l'instar des textes qui sanctionnent la déclaration publique de mécréance ou encore l'atteinte au sacré.
Nouvelle révision de l'article 6, l'atteinte au sacré sera interdite
Face à ces vives protestations, l'article 6 a été de nouveau soumis à la réunion des présidents des blocs parlementaires pour être révisé un seconde fois.
La version consensuelle proposée le 21 janvier visait à modifier le second paragraphe de l'article 6 comme suit: "L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, à protéger les sacrés de toute violation et à proscrire l’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence".
Mais pour de nombreux députés, la formule est loin d'être suffisante et le fait de "proscrire" l'accusation d'apostasie était inacceptable face à une simple "protection" du sacré de toute violation. L'article est de nouveau renvoyé en commission pour révision, après une nouvelle crise de Brahim Gassas, député indépendant.
La dernière version consensuelle reformulée devrait être adoptée ce jeudi. Elle énonce que: "L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de la modération et de tolérance, et à protéger les sacrés, interdisant toute atteinte au sacré. Comme il s’engage à interdire les appels à l’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence, en s’y opposant.
Ainsi, l'accusation d'apostasie n'est plus proscrite, mais ce sont les "appels" à ce type d'accusations qui sont "interdits". A cela s'ajoute l'interdiction de "toute atteinte au sacré".
Le "péché originel" a ainsi permis d'ouvrir "la boîte de pandore" et un article à l'origine contesté devient la première disposition constitutionnelle à limiter de manière explicite la liberté d'expression dans le domaine religieux, avec des notions aussi vagues que le "sacré" ou le "takfir".
Le blocage sur cet article se poursuivait encore tard dans la nuit du 22 janvier. Entre les tenants de l'interdiction de l'accusation d'apostasie et ceux de l'interdiction de l'atteinte au sacré, deux camps s'opposent et chacun à sa manière, ils ont porté un coup dur à la liberté d'expression. Chronologie d'un péché originel annoncé.
La première version déjà contestée
La première version de l'article 6 faisait déjà l'objet de quelques inquiétudes, par le caractère flou de certaines dispositions. L'Assemblée avait maintenu le rôle de l'Etat en tant que garant de la religion et du sacré, une disposition jugée trop vague et critiquée par la Ligue tunisienne des droits de l'Homme.
"Il faut lever le flou (...) sur l'article 6 qui donne à l'Etat le droit de parrainer la religion et de protéger le sacré qui peut aboutir à des interprétations menaçant la citoyenneté, les libertés", a estimé la Ligue.
Version originale adoptée de l'article 6: L’État est gardien de la religion. Il garantit la liberté de conscience et de croyance et le libre exercice du culte. Il est le protecteur du sacré, garant de la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane.
Aucune mention de l'atteinte au sacré, deux tiers de voix favorables
Lors des débats sur l'article 6, des voix se sont élevées, particulièrement contre l'inscription de la liberté de conscience.
En effet, cet article a été vivement débattu, Azed Badi (Wafa) estimant que la liberté de conscience permettrait "aux satanistes et aux idolâtres d'organiser des manifestations publiques ou d'ouvrir des écoles pour propager leurs croyances".
"Est-ce la République de la révolution que nous voulons? Voulons-nous offrir la Constitution au peuple tunisien ou à l'Occident?", avait-il lancé.
LIRE AUSSI: Débat sur la Constitution: 15 articles adoptés, satanisme et homosexualité au menu
Deux amendements visant donc à interdire la liberté de culte et de conscience ont été déposés. Le premier n'a recueilli que 35 voix favorables et le second 49, très loin de la majorité absolue requise.
Le premier amendement visant à interdire le "takfir" (accusation d'apostasie) a également été rejeté avec 96 voix favorables.
Par ailleurs, aucun amendement visant à interdire explicitement l'atteinte au sacré n'a été déposé. Seule la mention de la version originale, sur "l'Etat protecteur du sacré", instituant un flou volontaire autour de cette notion de "protection" a été gardée.
La version originale de l'article a finalement obtenu les voix favorables de plus de deux tiers des députés.
L'interdiction du "takfir" (accusation d'apostasie) ou le péché originel
Le soir de l'adoption de cet article, Habib Ellouze (Ennahdha) va pourtant mettre le feu aux poudres. Dans une déclaration radiophonique, il accuse le député Mongi Rahoui (Front populaire) d'être un "ennemi de l'Islam".
Cette intervention avait provoqué une vive émotion le lendemain matin à l'Assemblée et le débat sur l'article 6 a été relancé.
Plusieurs députés sont ainsi intervenus pour affirmer leur soutien à Mongi Rahoui. Ils ont appelé à ce que l'article soit révisé de nouveau pour y intégrer l'interdiction du "takfir".
"En temps normal, nous ne voudrions pas ajouter ce type de détail qui n'a pas sa place dans une Constitution, mais il faut prendre en compte le contexte dans lequel nous nous trouvons. Nous avons vécu deux assassinats politiques et de nombreux cas de violences basés sur des discours religieux incitant à la haine et à la violence. Le "takfir" pourrait ne pas entrer dans ces notions mais il a une signification particulière qui peut facilement être transposée juridiquement", avait justifié Selma Mabrouk au HuffPost Maghreb.
Des voix s'étaient alors élevées contre cette inscription, jugeant qu'elle allait à l'encontre de la liberté d'expression, en vain.
Donc dans quelques heures on va devoir dire que l'opposition a mis la première pierre de limitation de la liberté d'expression? #KMN
— Amira Yahyaoui (@Mira404) 5 Janvier 2014
Une bande d'hystériques .En acceptant la protection du sacré ils ont violé la liberté d'expression en ajoutant "takfir" ils l'achèvent.
— Narjess (@Narjess_) 5 Janvier 2014
LIRE AUSSI: La polémique entre Mongi Rahoui et Habib Ellouze relance le débat sur l'article 6 de la Constitution
Finalement, l'article a été amendé et adopté avec 131 voix favorables, 18 de moins que la version originale qui avait atteint la majorité des deux tiers.
"Cet article illustre au mieux ce que pouvait être un compromis impossible au départ et arraché au forceps après des mois d'âpres négociations entre les islamistes d'Ennahdha et l'opposition Démocrate", se félicitait Selim Abdessalem, député Nida Tounes.
Le même député a également affirmé que cet article faisait de la Tunisie le premier pays arabo-musulman à consacrer la liberté de conscience, alors même que cette disposition est clairement inscrite dans la Constitution algérienne.
"Si Habib Ellouze et ses acolytes avaient su, peut-être se seraient-ils tus et il ne se serait rien passé", a justement conclut Selim Ben Abdessalem.
La boite de pandore est ouverte
Mais si Habib Ellouze et ses acolytes avaient su, ils ne seraient peut-être pas tus, à la lumière des évènements qui ont suivi.
Le 9 janvier 2014, c'est le député Aymen Zouaghi qui ouvre le bal. Ce dernier n'aurait pas pu contenir son émotion après avoir visionné une feuille imprimée distribuée à certains députés dans l'après-midi. Cette feuille contenait des caricatures du Prophète Mohamed, publiées sur une page Facebook. Le but affiché de cette nouvelle polémique était de rouvrir le débat sur l'article 6 pour y inscrire la criminalisation de l'atteinte au sacré.
Une semaine plus tard, le conseil islamique et des associations se sont mobilisés pour demander la révision de l'article 6 du projet de Constitution et la suppression de "l'interdiction d'accusation d'apostasie".
Le conseil a proposé la suppression du principe d'interdiction d'accusation d'apostasie de la Constitution et de le remplacer par un texte de loi à l'instar des textes qui sanctionnent la déclaration publique de mécréance ou encore l'atteinte au sacré.
Nouvelle révision de l'article 6, l'atteinte au sacré sera interdite
Face à ces vives protestations, l'article 6 a été de nouveau soumis à la réunion des présidents des blocs parlementaires pour être révisé un seconde fois.
La version consensuelle proposée le 21 janvier visait à modifier le second paragraphe de l'article 6 comme suit: "L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, à protéger les sacrés de toute violation et à proscrire l’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence".
Mais pour de nombreux députés, la formule est loin d'être suffisante et le fait de "proscrire" l'accusation d'apostasie était inacceptable face à une simple "protection" du sacré de toute violation. L'article est de nouveau renvoyé en commission pour révision, après une nouvelle crise de Brahim Gassas, député indépendant.
LIRE AUSSI: L'article 6 fait dérailler les débats à la Constituante
La dernière version consensuelle reformulée devrait être adoptée ce jeudi. Elle énonce que: "L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de la modération et de tolérance, et à protéger les sacrés, interdisant toute atteinte au sacré. Comme il s’engage à interdire les appels à l’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence, en s’y opposant.
Ainsi, l'accusation d'apostasie n'est plus proscrite, mais ce sont les "appels" à ce type d'accusations qui sont "interdits". A cela s'ajoute l'interdiction de "toute atteinte au sacré".
Le "péché originel" a ainsi permis d'ouvrir "la boîte de pandore" et un article à l'origine contesté devient la première disposition constitutionnelle à limiter de manière explicite la liberté d'expression dans le domaine religieux, avec des notions aussi vagues que le "sacré" ou le "takfir".
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