Le Premier ministre Mehdi Jomâa a ordonné samedi la fermeture de la radio religieuse Nour et de la chaîne télévisée (Al Insan), parmi une série de mesures immédiates annoncées après la mort de 15 soldats dans une attaque "terroriste" à Châambi.
Cette décision a engendré un énième bras de fer opposant la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) au gouvernement en place. Ce dernier a-t-il agi en conformité avec la loi ou a-t-il abusé de son pouvoir au nom de la lutte antiterroriste?
La version officielle du gouvernement
Dans un premier communiqué publié dans la nuit du samedi au dimanche 20 juillet, le gouvernement annonce "la fermeture immédiate des radios et télévisions sans licence et qui se sont transformées en (...) espaces pour le takfir (accusation d'apostasie) et l'appel au jihad".
Dans un deuxième communiqué il affirme avoir décidé la fermeture de la radio Nour (et de sa chaîne télévisée Al Insan), après concertation avec la HAICA, "en tant qu'instance constitutionnelle et après avoir reçu des correspondances envoyées par l'instance à la radio "Nour", contenant des avertissements".
"La Présidence du gouvernement veille au respect du rôle régulateur de la HAICA et du principe de la liberté de l'information et à la neutralisation de tout discours prônant le "takfir", car tout le monde est impliqué dans la guerre contre le terrorisme", précise le communiqué.
La HAICA nie avoir été informée
La riposte ne s'est pas fait attendre. Le même jour, Nouri Lajmi, président de la HAICA fait part de son "étonnement" sur la radio privée Shems FM. "J'ai été informé de cette décision par les médias", a-t-il assuré.
"Il est vrai qu'il y a de nombreuses radio, [Nour] n'est pas la seule, à diffuser des discours incitant à la violence, mais cela ne veut pas dire que l'Instance n'est pas en train de suivre ce qui est diffusé par ces chaines", a affirmé le président de la HAICA.
"Quand l'Instance prend une décision, elle doit être motivée. Le décret-loi 116 accorde des prérogatives à la HAICA, mais elle doit par exemple donner à l'institution concernée le droit de se défendre (...) La décision de fermer une institution télévisée ou radiophonique ne peut pas se faire du jour au lendemain", a-t-il ajouté.
Nouri Lajmi a indiqué que la HAICA était au stade d'examen des infractions commises, particulièrement par la radio Nour, mais qu'aucune décision ne pouvait être prise, sans les vérifications requises. "Je ne sais pas pourquoi ils ont publié un tel communiqué, mais la HAICA n'a pas été consultée dans la décision de fermer la radio Nour", a-t-il insisté.
Abus de pouvoir?
"C'est totalement faux! Nous avons contacté la HAICA par téléphone, nous avons les enregistrements", a affirmé Mofdi Mseddi, chargé de la communication du Premier ministère, au HuffPost Maghreb. "L'Instance nous a également transmis les avertissements adressés à cette radio", a-t-il dit.
Mais n'est-il pas du ressort de la HAICA de prendre une telle décision? "Non, cette radio n'avait pas d'autorisation de diffuser et nous nous sommes basés sur le Code des Télécommunications dont la valeur juridique est supérieure à celle du décret-loi 116", a assuré M. Mseddi.
Une "communication téléphonique" démentie par le président de la HAICA et un recours au Code des Télécommunications, voilà pour la défense du gouvernement.
La question de l'application des décrets-loi 115-2011 relatif à la liberté de la presse et 116-2011 portant sur la liberté de la communication audiovisuelle et sur la création de la HAICA a souvent suscité la polémique, les différentes juridictions n'hésitant pas à recourir au Code pénal ou à d'autres textes de législations antérieurs jugés plus répressifs.
Pour autant, le décret-loi 116-2011 est réellement entré en application à partir de la date de création de la HAICA et le texte prévoit notamment l'abrogation "de tous les textes antérieurs contraires aux dispositions du présent décret-loi".
Il donne à l'Instance des prérogatives élargies en matière d'adoption d'un cahier des charges, d'examen des demandes de licences ou encore d'octroi des fréquences nécessaires, en coordination avec l'Agence nationale des fréquences (ANF).
L'article 31 du décret-loi donne également à la HAICA le pouvoir d'infliger des amendes "en cas d’exercice des activités de diffusion sans licence".
Selon les cas, il revient à l'Instance de décider de la suspension provisoire ou définitive de la diffusion d'un programme ou des activités de l'institution incriminée. Enfin, si les faits concernent une infraction d'ordre pénal, le dossier doit être transmis à la juridiction compétente en la matière.
Ainsi, la décision de fermeture d'un média (autorisé ou non) n'est, dans aucun des cas prévus par le décret-loi, du ressort du gouvernement.
Le SNJT en renfort, la HAICA persiste
Dans le même sens, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Néji Bghouri a estimé que les mesures relatives à la fermeture de radios ou de télévisions relevaient des prérogatives de la HAICA et non de l'exécutif.
Dans une déclaration a l'agence TAP, il a affirmé que la guerre contre le terrorisme ne devait pas servir de prétexte pour porter atteinte à la liberté d’expression et à la diversité du paysage médiatique, qui représentent "les deux plus importants acquis post-révolution".
Contacté par le HuffPost Maghreb, Riadh Ferjani, membre de la HAICA, estime à son tour que, selon toutes vraisemblances, le gouvernement a outrepassé ses prérogatives.
Par ailleurs, la HAICA a publié un communiqué officiel lundi en fin d'après-midi, rappelant que les procédures permettant la régularisation des médias ne bénéficiant pas d'autorisation étaient en cours, sur la base d'un cahier des charges et selon un calendrier précis.
Elle rappelle enfin que les sanctions à l'encontre d'institutions médiatiques ne peuvent être prises qu'en conformité avec les dispositions du décret-loi 116-2011.
L'indignation était vive après l'attaque meurtrière de Châambi, et les voix des responsables politiques et de personnalités de la société civile se sont élevées pour appeler le gouvernement apolitique de Mehdi Jomâa à agir dans les plus brefs délais.
La cellule de crise du gouvernement a, dans la foulée, annoncé plusieurs décisions visant à endiguer la menace terroriste. Ainsi, les autorités ont ordonné la fermeture de plusieurs mosquées, hors du contrôle de l'Etat ou, plus surprenant, interdit à toute personne, parti ou institution de "dénigrer" les institutions militaire et sécuritaire, sous peine de s'exposer à des poursuites judiciaires.
Face à la multiplication de violences attribuées à la mouvance jihadiste, la question du respect des droits de l'Homme et des libertés dans un contexte de lutte anti-terroriste fait débat.
Cette décision a engendré un énième bras de fer opposant la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) au gouvernement en place. Ce dernier a-t-il agi en conformité avec la loi ou a-t-il abusé de son pouvoir au nom de la lutte antiterroriste?
La version officielle du gouvernement
Dans un premier communiqué publié dans la nuit du samedi au dimanche 20 juillet, le gouvernement annonce "la fermeture immédiate des radios et télévisions sans licence et qui se sont transformées en (...) espaces pour le takfir (accusation d'apostasie) et l'appel au jihad".
Dans un deuxième communiqué il affirme avoir décidé la fermeture de la radio Nour (et de sa chaîne télévisée Al Insan), après concertation avec la HAICA, "en tant qu'instance constitutionnelle et après avoir reçu des correspondances envoyées par l'instance à la radio "Nour", contenant des avertissements".
"La Présidence du gouvernement veille au respect du rôle régulateur de la HAICA et du principe de la liberté de l'information et à la neutralisation de tout discours prônant le "takfir", car tout le monde est impliqué dans la guerre contre le terrorisme", précise le communiqué.
La HAICA nie avoir été informée
La riposte ne s'est pas fait attendre. Le même jour, Nouri Lajmi, président de la HAICA fait part de son "étonnement" sur la radio privée Shems FM. "J'ai été informé de cette décision par les médias", a-t-il assuré.
"Il est vrai qu'il y a de nombreuses radio, [Nour] n'est pas la seule, à diffuser des discours incitant à la violence, mais cela ne veut pas dire que l'Instance n'est pas en train de suivre ce qui est diffusé par ces chaines", a affirmé le président de la HAICA.
"Quand l'Instance prend une décision, elle doit être motivée. Le décret-loi 116 accorde des prérogatives à la HAICA, mais elle doit par exemple donner à l'institution concernée le droit de se défendre (...) La décision de fermer une institution télévisée ou radiophonique ne peut pas se faire du jour au lendemain", a-t-il ajouté.
Nouri Lajmi a indiqué que la HAICA était au stade d'examen des infractions commises, particulièrement par la radio Nour, mais qu'aucune décision ne pouvait être prise, sans les vérifications requises. "Je ne sais pas pourquoi ils ont publié un tel communiqué, mais la HAICA n'a pas été consultée dans la décision de fermer la radio Nour", a-t-il insisté.
Abus de pouvoir?
"C'est totalement faux! Nous avons contacté la HAICA par téléphone, nous avons les enregistrements", a affirmé Mofdi Mseddi, chargé de la communication du Premier ministère, au HuffPost Maghreb. "L'Instance nous a également transmis les avertissements adressés à cette radio", a-t-il dit.
Mais n'est-il pas du ressort de la HAICA de prendre une telle décision? "Non, cette radio n'avait pas d'autorisation de diffuser et nous nous sommes basés sur le Code des Télécommunications dont la valeur juridique est supérieure à celle du décret-loi 116", a assuré M. Mseddi.
Une "communication téléphonique" démentie par le président de la HAICA et un recours au Code des Télécommunications, voilà pour la défense du gouvernement.
La question de l'application des décrets-loi 115-2011 relatif à la liberté de la presse et 116-2011 portant sur la liberté de la communication audiovisuelle et sur la création de la HAICA a souvent suscité la polémique, les différentes juridictions n'hésitant pas à recourir au Code pénal ou à d'autres textes de législations antérieurs jugés plus répressifs.
Pour autant, le décret-loi 116-2011 est réellement entré en application à partir de la date de création de la HAICA et le texte prévoit notamment l'abrogation "de tous les textes antérieurs contraires aux dispositions du présent décret-loi".
Il donne à l'Instance des prérogatives élargies en matière d'adoption d'un cahier des charges, d'examen des demandes de licences ou encore d'octroi des fréquences nécessaires, en coordination avec l'Agence nationale des fréquences (ANF).
L'article 31 du décret-loi donne également à la HAICA le pouvoir d'infliger des amendes "en cas d’exercice des activités de diffusion sans licence".
Selon les cas, il revient à l'Instance de décider de la suspension provisoire ou définitive de la diffusion d'un programme ou des activités de l'institution incriminée. Enfin, si les faits concernent une infraction d'ordre pénal, le dossier doit être transmis à la juridiction compétente en la matière.
Ainsi, la décision de fermeture d'un média (autorisé ou non) n'est, dans aucun des cas prévus par le décret-loi, du ressort du gouvernement.
Le SNJT en renfort, la HAICA persiste
Dans le même sens, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Néji Bghouri a estimé que les mesures relatives à la fermeture de radios ou de télévisions relevaient des prérogatives de la HAICA et non de l'exécutif.
Dans une déclaration a l'agence TAP, il a affirmé que la guerre contre le terrorisme ne devait pas servir de prétexte pour porter atteinte à la liberté d’expression et à la diversité du paysage médiatique, qui représentent "les deux plus importants acquis post-révolution".
Contacté par le HuffPost Maghreb, Riadh Ferjani, membre de la HAICA, estime à son tour que, selon toutes vraisemblances, le gouvernement a outrepassé ses prérogatives.
"L'argument selon lequel le média a été fermé car il ne bénéficie pas d'une autorisation ne peut être valable, car dans ce cas, le gouvernement aurait dû fermer tous les médias dans cette situation", a-t-il soutenu.
Par ailleurs, la HAICA a publié un communiqué officiel lundi en fin d'après-midi, rappelant que les procédures permettant la régularisation des médias ne bénéficiant pas d'autorisation étaient en cours, sur la base d'un cahier des charges et selon un calendrier précis.
Elle rappelle enfin que les sanctions à l'encontre d'institutions médiatiques ne peuvent être prises qu'en conformité avec les dispositions du décret-loi 116-2011.
L'indignation était vive après l'attaque meurtrière de Châambi, et les voix des responsables politiques et de personnalités de la société civile se sont élevées pour appeler le gouvernement apolitique de Mehdi Jomâa à agir dans les plus brefs délais.
La cellule de crise du gouvernement a, dans la foulée, annoncé plusieurs décisions visant à endiguer la menace terroriste. Ainsi, les autorités ont ordonné la fermeture de plusieurs mosquées, hors du contrôle de l'Etat ou, plus surprenant, interdit à toute personne, parti ou institution de "dénigrer" les institutions militaire et sécuritaire, sous peine de s'exposer à des poursuites judiciaires.
Face à la multiplication de violences attribuées à la mouvance jihadiste, la question du respect des droits de l'Homme et des libertés dans un contexte de lutte anti-terroriste fait débat.
LIRE AUSSI: Haro sur le "blanchiment du terrorisme", par Habib Sayah
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