La Constitution a été adoptée, mais permet-elle d’instaurer un Etat de droit, de garantir la séparation des pouvoirs et les droits et libertés qui y sont énoncés, après des années passées sous le règne de l’arbitraire? Le texte constitutionnel offre-t-il les mécanismes nécessaires à son application? Autant de questions auxquelles ont tenté de répondre les participants à une conférence organisée par Democracy Reporting International (DRI), en partenariat avec l’Association tunisienne de droit constitutionnel (ATDC), ce lundi à Tunis.
"Pendant longtemps, la Constitution n’a pas été un texte garantissant l’Etat de droit, il n’y avait pas de garanties juridictionnelles permettant son application", a indiqué Xavier Philippe, expert en droit constitutionnel de DRI et directeur de l'Institut Louis Favoreu à Aix-en-Provence en France.
"L’Etat de droit est la soumission à la règle de droit de l’ensemble de personnes, des organes privés et publics, y compris - et surtout - l’Etat. Pour les Etats qui sortent d’un conflit ou d’une crise, l’Etat de droit tourne généralement le dos à l’arbitraire, il permet de faire entrer dans un cadre juridique l’ensemble des actions des individus et des autorités et pour cela, il faut mettre en place des mécanismes. La Constitution est le socle sur lequel l’Etat de droit va se définir", a ajouté Xavier Philippe.
La Cour constitutionnelle, gardien de la Constitution?
Une grande partie des intervenants a cité l’importance des articles 2, instituant un Etat civil gouverné par la suprématie du droit, l’article 49 permettant aux instances juridictionnelles de garantir les droits et libertés énoncées, qui ne peuvent être restreintes que selon les principes de nécessité et de proportionnalité, ou encore l’article 102 de la loi fondamentale, énonçant l’indépendance d’une justice qui garantit "la primauté de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés".
Par ailleurs, l’établissement de la Cour constitutionnelle, chargée de contrôler la constitutionnalité des lois, a été particulièrement salué comme une avancée notable dans le sens de l'avènement de l'Etat de droit.
"La Cour constitutionnelle, qui n’existait pas avant, est une instance très importante. Mais ce n’est pas tout. La société civile, qui a joué un rôle très important dans l’écriture de la Constitution, jouera un rôle tout aussi important pour garantir son application", a soutenu Farhat Horchani, Président de l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel.
Pour Xavier Philippe, l’Etat de droit ne pourra s’illustrer que dans le respect de la hiérarchie des normes et sa pratique au quotidien, afin d’assurer "la cohérence et la cohésion du système juridique".
Le respect de la hiérarchie des normes, notamment par la Cour constitutionnelle, le passage d’un pouvoir arbitraire à un pouvoir discrétionnaire agissant dans un cadre juridique donné et le rôle du juge ordinaire pour faire respecter les décisions de la Cour sont autant de mécanismes garantissant ainsi l’Etat de droit et un changement de mentalité à l’égard du droit, lequel doit "devenir une source de sécurité juridique".
"Le citoyen veut savoir à quelle sauce il va être mangé, comment il va pouvoir réagir face aux autorités". Selon Xavier Philippe, il est aujourd’hui trop tôt pour savoir si cette Constitution permettra d'assurer une sécurité juridique des individus vis-à-vis des autorités mais aussi vis-à-vis des autres individus. Pour autant, la Constitution tunisienne possède "les ingrédients nécessaires", a-t-il estimé.
L'application des droits, l'équilibre des pouvoirs et la mentalité
Lobna Jeribi (Ettakatol), Mohamed Gahbiche (Alliance démocratique) ou encore Latifa Habachi (Ennahdha), députés à l'Assemblée constituante, ont particulièrement insisté sur l'importance et l'aspect "révolutionnaire" de l'article 49, qui clôt le chapitre relatif aux droits et libertés.
"L'article 49 permet d'assurer le respect des droits et des libertés énoncés dans la Constitution, un chapitre entré en vigueur depuis le 10 février. Aucune restriction à ces libertés ne peut toucher à leur essence et ces restrictions doivent respecter le principe de proportionnalité et de nécessité. De plus, les instances juridiques assurent la garantie de ces droits", s'est félicitée Latifa Habachi.
"Mais ce n'est pas suffisant, l'instauration de l'Etat civil démocratique est une condition à l'application de ces libertés et le combat des Tunisiens en faveur de leur réalisation est encore long", a-t-elle nuancé.
"Il ne faut pas que des dispositions comme celle de l'interdiction de l'atteinte au sacré soient utilisées pour limiter la liberté d'expression ou de pensée. De même, nous devons aujourd'hui lutter contre le terrorisme en Tunisie, mais il est nécessaire que cette lutte ne remette pas en cause le respect des droits de l'Homme", a-t-elle ajouté.
Pour Lobna Jeribi, l'instauration d'un Etat de droit dépend également des mentalités. "Il est nécessaire que les mentalités évoluent en ce sens et c'est notamment le rôle de l'enseignement", a-t-elle affirmé.
La Constitution a ainsi été élaborée pour rompre avec le passé. Les mécanismes d'équilibre des pouvoirs permettant d'éviter le retour d'un pouvoir arbitraire sont présents dans le texte, a estimé Farhat Horchani. "Tout notre soucis est de faire en sorte que le pouvoir autoritaire ne soit pas reconduit. Il y a un équilibre de légitimité, une indépendance de la justice et des mécanismes de pression de l’exécutif sur le législatif et réciproquement, qui, malgré quelques bizarreries et insuffisances, sont conformes aux standards de l’Etat de droit", a affirmé le président de l'ATDC.
"Même quand on écrit une Constitution, on ne peut jamais tout prévoir", a relativisé Xavier Philippe.
Les limites de l'instance provisoire chargée de la constitutionnalité des projets de loi
Si une cour constitutionnelle indépendante du pouvoir en place permettra de garantir l'application des dispositions de la Constitution dans le sens d'un Etat de droit, celle-ci ne sera mise en place que par le prochain Parlement. Avant cette date, comment garantir la constitutionnalité des lois?
"Trois scénarios ont été étudiés: donner au Tribunal administratif la possibilité de poursuivre le contrôle de constitutionnalité, le vide et l'accélération de la mise en place de la cour constitutionnelle permanente ou la création d'une instance provisoire. C'est ce troisième scénario qui a été privilégié", a indiqué Lobna Jeribi.
L'élue a ainsi déclaré qu'il était nécessaire d'accélérer les travaux, après l'adoption de la loi électorale, pour adopter la loi organique portant création de cette instance provisoire.
Deux problèmes ont alors été soulevés. En effet, selon les dispositions transitoires, cette instance provisoire ne pourra contrôler que la constitutionnalité des projets de loi et non des lois déjà en vigueur. Ainsi, Farhat Horchani a déclaré qu'il était primordial de mettre en place cette instance avant l'adoption de la loi électorale, pour pouvoir contrôler sa conformité avec la nouvelle Constitution.
"Il n'y a rien qui empêche l'étude de la loi sur l'instance provisoire en même temps que la loi électorale. La société civile peut, en ce sens, être force de proposition et mettre la pression", a concédé Lobna Jeribi.
L'autre problème était relatif au contrôle de constitutionnalité des lois déjà en vigueur. Comment faire appliquer notamment le chapitre relatif aux droits et libertés si des lois contraires à la Constitution sont encore appliquées?
Latifa Habachi a en effet indiqué que ni les tribunaux, ni l'instance provisoire n'avaient les prérogatives pour contrôler la constitutionnalité des lois.
"Il s'agit de prérogatives très importantes que nous ne voulions donner qu'à la Cour constitutionnelle permanente. En attendant, l'actuel gouvernement devrait s'atteler à la tâche pour élaborer des projets de loi visant à modifier la législation pour qu'elle soit conforme à la Constitution", a-t-elle précisé.
Au contraire, se basant sur l'article 102 de la Constitution, Ghazi Ghraïri, Secrétaire général de l’Académie Internationale de Droit Constitutionnel, a estimé qu'il était possible pour les juges, et notamment pour le Tribunal administratif, de contrôler la constitutionnalité de certaines lois avant que la cour constitutionnelle ne soit effective.
"Selon l'article 102, le pouvoir judiciaire est chargé de garantir la primauté de la Constitution. Même si les dispositions transitoires énoncent l'interdiction pour les tribunaux de contrôler la constitutionnalité des lois, cet article en donne la possibilité", a-t-il soutenu.
Les divergences dans l'interprétation de la Constitution débutent ainsi déjà sur les mécanismes nécessaires à la garantie de son application, en attendant la mise en pratique et les interprétations de ceux qui seront chargés de veiller à son respect.
"Il reste aux interprètes de ce texte d’avoir la sagesse de savoir l'utiliser, le faire évoluer et définir les droits et libertés qui y sont garantis", a conclu Xavier Philippe.
"Pendant longtemps, la Constitution n’a pas été un texte garantissant l’Etat de droit, il n’y avait pas de garanties juridictionnelles permettant son application", a indiqué Xavier Philippe, expert en droit constitutionnel de DRI et directeur de l'Institut Louis Favoreu à Aix-en-Provence en France.
"L’Etat de droit est la soumission à la règle de droit de l’ensemble de personnes, des organes privés et publics, y compris - et surtout - l’Etat. Pour les Etats qui sortent d’un conflit ou d’une crise, l’Etat de droit tourne généralement le dos à l’arbitraire, il permet de faire entrer dans un cadre juridique l’ensemble des actions des individus et des autorités et pour cela, il faut mettre en place des mécanismes. La Constitution est le socle sur lequel l’Etat de droit va se définir", a ajouté Xavier Philippe.
Quels sont les mécanismes institués par la Constitution qui permettraient d’instaurer cet Etat de droit?
La Cour constitutionnelle, gardien de la Constitution?
Une grande partie des intervenants a cité l’importance des articles 2, instituant un Etat civil gouverné par la suprématie du droit, l’article 49 permettant aux instances juridictionnelles de garantir les droits et libertés énoncées, qui ne peuvent être restreintes que selon les principes de nécessité et de proportionnalité, ou encore l’article 102 de la loi fondamentale, énonçant l’indépendance d’une justice qui garantit "la primauté de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés".
Par ailleurs, l’établissement de la Cour constitutionnelle, chargée de contrôler la constitutionnalité des lois, a été particulièrement salué comme une avancée notable dans le sens de l'avènement de l'Etat de droit.
"Il ne peut y avoir un Etat de droit que si il y a un gardien de la Constitution. Si la cour constitutionnelle possède une indépendance et une autonomie capable de dire au pouvoir constitué qu’il ne peut pas tout faire, c’est une véritable garantie de l’Etat de droit", a indiqué en ce sens Xavier Philippe.
"La Cour constitutionnelle, qui n’existait pas avant, est une instance très importante. Mais ce n’est pas tout. La société civile, qui a joué un rôle très important dans l’écriture de la Constitution, jouera un rôle tout aussi important pour garantir son application", a soutenu Farhat Horchani, Président de l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel.
Pour Xavier Philippe, l’Etat de droit ne pourra s’illustrer que dans le respect de la hiérarchie des normes et sa pratique au quotidien, afin d’assurer "la cohérence et la cohésion du système juridique".
Le respect de la hiérarchie des normes, notamment par la Cour constitutionnelle, le passage d’un pouvoir arbitraire à un pouvoir discrétionnaire agissant dans un cadre juridique donné et le rôle du juge ordinaire pour faire respecter les décisions de la Cour sont autant de mécanismes garantissant ainsi l’Etat de droit et un changement de mentalité à l’égard du droit, lequel doit "devenir une source de sécurité juridique".
"Le citoyen veut savoir à quelle sauce il va être mangé, comment il va pouvoir réagir face aux autorités". Selon Xavier Philippe, il est aujourd’hui trop tôt pour savoir si cette Constitution permettra d'assurer une sécurité juridique des individus vis-à-vis des autorités mais aussi vis-à-vis des autres individus. Pour autant, la Constitution tunisienne possède "les ingrédients nécessaires", a-t-il estimé.
L'application des droits, l'équilibre des pouvoirs et la mentalité
Lobna Jeribi (Ettakatol), Mohamed Gahbiche (Alliance démocratique) ou encore Latifa Habachi (Ennahdha), députés à l'Assemblée constituante, ont particulièrement insisté sur l'importance et l'aspect "révolutionnaire" de l'article 49, qui clôt le chapitre relatif aux droits et libertés.
"L'article 49 permet d'assurer le respect des droits et des libertés énoncés dans la Constitution, un chapitre entré en vigueur depuis le 10 février. Aucune restriction à ces libertés ne peut toucher à leur essence et ces restrictions doivent respecter le principe de proportionnalité et de nécessité. De plus, les instances juridiques assurent la garantie de ces droits", s'est félicitée Latifa Habachi.
"Mais ce n'est pas suffisant, l'instauration de l'Etat civil démocratique est une condition à l'application de ces libertés et le combat des Tunisiens en faveur de leur réalisation est encore long", a-t-elle nuancé.
"Il ne faut pas que des dispositions comme celle de l'interdiction de l'atteinte au sacré soient utilisées pour limiter la liberté d'expression ou de pensée. De même, nous devons aujourd'hui lutter contre le terrorisme en Tunisie, mais il est nécessaire que cette lutte ne remette pas en cause le respect des droits de l'Homme", a-t-elle ajouté.
Pour Lobna Jeribi, l'instauration d'un Etat de droit dépend également des mentalités. "Il est nécessaire que les mentalités évoluent en ce sens et c'est notamment le rôle de l'enseignement", a-t-elle affirmé.
La Constitution a ainsi été élaborée pour rompre avec le passé. Les mécanismes d'équilibre des pouvoirs permettant d'éviter le retour d'un pouvoir arbitraire sont présents dans le texte, a estimé Farhat Horchani. "Tout notre soucis est de faire en sorte que le pouvoir autoritaire ne soit pas reconduit. Il y a un équilibre de légitimité, une indépendance de la justice et des mécanismes de pression de l’exécutif sur le législatif et réciproquement, qui, malgré quelques bizarreries et insuffisances, sont conformes aux standards de l’Etat de droit", a affirmé le président de l'ATDC.
"Même quand on écrit une Constitution, on ne peut jamais tout prévoir", a relativisé Xavier Philippe.
Les limites de l'instance provisoire chargée de la constitutionnalité des projets de loi
Si une cour constitutionnelle indépendante du pouvoir en place permettra de garantir l'application des dispositions de la Constitution dans le sens d'un Etat de droit, celle-ci ne sera mise en place que par le prochain Parlement. Avant cette date, comment garantir la constitutionnalité des lois?
"Trois scénarios ont été étudiés: donner au Tribunal administratif la possibilité de poursuivre le contrôle de constitutionnalité, le vide et l'accélération de la mise en place de la cour constitutionnelle permanente ou la création d'une instance provisoire. C'est ce troisième scénario qui a été privilégié", a indiqué Lobna Jeribi.
L'élue a ainsi déclaré qu'il était nécessaire d'accélérer les travaux, après l'adoption de la loi électorale, pour adopter la loi organique portant création de cette instance provisoire.
Deux problèmes ont alors été soulevés. En effet, selon les dispositions transitoires, cette instance provisoire ne pourra contrôler que la constitutionnalité des projets de loi et non des lois déjà en vigueur. Ainsi, Farhat Horchani a déclaré qu'il était primordial de mettre en place cette instance avant l'adoption de la loi électorale, pour pouvoir contrôler sa conformité avec la nouvelle Constitution.
"Il n'y a rien qui empêche l'étude de la loi sur l'instance provisoire en même temps que la loi électorale. La société civile peut, en ce sens, être force de proposition et mettre la pression", a concédé Lobna Jeribi.
L'autre problème était relatif au contrôle de constitutionnalité des lois déjà en vigueur. Comment faire appliquer notamment le chapitre relatif aux droits et libertés si des lois contraires à la Constitution sont encore appliquées?
Latifa Habachi a en effet indiqué que ni les tribunaux, ni l'instance provisoire n'avaient les prérogatives pour contrôler la constitutionnalité des lois.
"Il s'agit de prérogatives très importantes que nous ne voulions donner qu'à la Cour constitutionnelle permanente. En attendant, l'actuel gouvernement devrait s'atteler à la tâche pour élaborer des projets de loi visant à modifier la législation pour qu'elle soit conforme à la Constitution", a-t-elle précisé.
Au contraire, se basant sur l'article 102 de la Constitution, Ghazi Ghraïri, Secrétaire général de l’Académie Internationale de Droit Constitutionnel, a estimé qu'il était possible pour les juges, et notamment pour le Tribunal administratif, de contrôler la constitutionnalité de certaines lois avant que la cour constitutionnelle ne soit effective.
"Selon l'article 102, le pouvoir judiciaire est chargé de garantir la primauté de la Constitution. Même si les dispositions transitoires énoncent l'interdiction pour les tribunaux de contrôler la constitutionnalité des lois, cet article en donne la possibilité", a-t-il soutenu.
Les divergences dans l'interprétation de la Constitution débutent ainsi déjà sur les mécanismes nécessaires à la garantie de son application, en attendant la mise en pratique et les interprétations de ceux qui seront chargés de veiller à son respect.
"Il reste aux interprètes de ce texte d’avoir la sagesse de savoir l'utiliser, le faire évoluer et définir les droits et libertés qui y sont garantis", a conclu Xavier Philippe.
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