RÉSEAUX SOCIAUX - Après avoir détaillé nos vies et "liké" celle des autres sur Facebook, partagé nos lectures sur Twitter, documenté nos repas, nos sorties et nos looks sur Instagram et envoyé nos photos compromettantes sur Snapchat, une nouvelle application nous propose de révéler nos secrets.
L'application Secret (uniquement disponible aux Etats-Unis et au Canada sur iPhone pour le moment) est au cœur de toutes les attentions outre-Atlantique et l'Europe l'attend avec impatience. Mais pourquoi sommes-nous volontaires pour nous dévoiler un peu plus encore? C'est la question que s'est posé Le HuffPost.
Après Secret Story, Secret l’appli
Depuis son lancement il y a deux semaines aux Etats-Unis, l’application de David Byttow et Chrys Bader (des anciens de Google et Square) passionne la Sillicon Valley.
Secret propose à ses utilisateurs de partager leurs pensées, leurs sentiments, leurs photos ou leurs ragots auprès des contacts de leur répertoire téléphonique qui utilisent également l’appli. Précision importante: les utilisateurs restent anonymes. Le slogan de Secret, c’est d’ailleurs “Parlez librement”.
"Pas de nom, pas de profil. L’important ça n’est pas qui vous êtes mais ce que vous dites. Ça n’est pas pour se vanter, c’est pour partager, sans être jugé.”
Votre secret se diffuse d’abord dans votre cercle d’amis, mais il n’y reste pas forcément circonscrit: si l’un de vos “amis” aime votre secret, il devient visible par ses propres contacts et ainsi de suite. Au bout de six “j’aime”, votre secret devient totalement public et peut se retrouver sur la page d’accueil de l’appli.
“Je peins en secret mais je n’ose pas le montrer à quiconque.”
Comme l’explique Le Plus, les secrets que l’on peut lire pour le moment restent bon enfant, mais en cherchant un peu on trouve aussi des rumeurs de rachat d’entreprises, des critiques sur des patrons et quelques pépites.
Les premiers utilisateurs sont en tout cas hypnotisés par ce nouveau jeu. “Les gens dévorent leur flux de secrets, décrit The Verge, un mélange imprévisible de sexe, de drogue et de l’industrie du potin. Un plan à trois pour la Saint-Valentin, des photos de votre meilleure beuh, une fellation dans la cuisine d’un restaurant - tout y est, c’est peut être vrai, peut être pas, mais vous allez forcément vous demandez qui a posté ça.”
“Il y a sept ans j’ai fait une tentative de suicide et j’ai survécu. Aujourd’hui je suis un employé connu dans une start-up en vogue. Les gens pensent que je suis accro au travail, mais en fait je veux juste tirer le meilleur parti de chaque jour où je suis en vie.”
“Je travaille chez Path. Nous sommes tous malheureux. Dave raconte n’importe quoi aux gens qui ont du succès, il croit qu’il est Steve Jobs. Je me casse bientôt.”
Le concept est croustillant mais on imagine rapidement les dérives possibles avec un tel outil. Secret a tout pour devenir le canal de diffusion de l’intox et de la diffamation - sa mécanique rappelle d’ailleurs trait pour trait le cheminement d’une rumeur… Et si, comme Snapchat qui promet que les photos s’autodétruisent, Secret venait à être hacké et les auteurs identifiés?
L’engouement pour cette nouvelle appli montre que ce sont des risques que l’on est prêt à prendre. Mais pourquoi au juste? Pourquoi se sent-on obligé de tout partager, même nos secrets?
En dire toujours plus
Nous avons posé la question à nos lecteurs, et pour la plupart d’entre eux, c’est simple, ils ne peuvent pas s’en empêcher. Il y a ceux qui veulent “s’occuper”, “s’amuser”, et ceux qui veulent “exister”, “appartenir à un groupe”, même virtuel.
Pour Benoist, “le temps est venu d’exister, même quelques secondes dans la tête de n’importe qui”. “Cela permet de se sentir appartenir à une communauté”, pense Raymonde. “On se sent moins isolé en partageant et en ayant l’avis des autres.” Une analyse que partage Theo pour qui, “l’être humain a constamment peur d’être seul”. “Partager toujours et encore, donne l’impression de faire partie de quelque chose.”
Ces témoignages rejoignent les analyses du psychiatre Stéphane Clerget sur le comportement des adolescents sur les réseaux sociaux.
Mais pour Stéphane Clerget, ces réseaux répondent aussi au besoin de reconnaissance sociale des jeunes. “L’ado est nostalgique de sa toute petite enfance quand, entouré de l’attention de tout son entourage, il se pensait le centre du monde. Il s’agit cette fois d’être reconnu non pas simplement par la famille dont on se détache mais d’une nouvelle société de pairs.”
Visiblement, nous sommes tous de grands ados. Et, ado ou pas, le secret est quelque chose de très séduisant.
Le confessional 2.0
“Ce que propose Secret, c’est un confessionnal laïc, analyse Laurence Corroy qui enseigne l'éducation aux médias à la Sorbonne Nouvelle. C’est une façon de se délivrer d’une information qui nous pèse, tout en se protégeant.”
Le succès du réseau Secret repose à la fois sur ce besoin de la confession que sur le voyeurisme. “Avouer ses actions ou pensées coupables soulage, avec en guise d’absolution des commentaires attendus”, admet Stéphane Clerget.
Mais pour le psychiatre, le succès de ce réseau s’appuie essentiellement sur l’intérêt que l’on porte tous aux secrets. “Ce qui est caché attire l’œil et l’oreille, le secret enveloppe l’information d’un aura qui en accroît l’importance et donc l’audience, analyse Stéphane Clerget. D’ailleurs, seuls des amis nous confient leur secret et avoir quelqu’un a qui confié un secret est l’un des bonheurs de l’amitié.”
De nouvelles assurances pour se lâcher
Mais ceux qui sont prêts à utiliser Secret ou à télécharger illico toutes les "applis du moment" sont-ils conscients des risques?
“Malgré les mises en garde parentales, les jeunes ne sont pas dans la crainte de laisser des traces de soi potentiellement préjudiciables car par définition le début de l’adolescence ne rend pas possible le recul d’un adulte - autant demander a un enfant de 3 ans d’être raisonnable”, tranche le psychiatre.
Un avis que ne partage pas forcément, Laurence Corroy. Pour elle, “le succès de Secret c’est un pas de plus dans l’exposition de l’intime, mais on note en même temps l’attrait des utilisateurs pour le droit à l’oubli et le retour de l’anonymat.”
Le succès de l’application Snapchat, c’est en effet ce droit à l’oubli: les photos ayant une durée de vie de quelques secondes, l’utilisateur est assuré que les preuves s’autodétruisent.
D’un côté l’éphémère, de l’autre l’anonymat. Secret, Whisper (une autre appli autour du secret qui a récemment levé 21 millions de dolars) ou encore ask.fm (où les ados se posent des questions et s’engagent à y répondre) misent sur ce second modèle.
Avec ces “assurances”, les nouvelles applications à succès sont parvenues à contrer la notion de danger que les utilisateurs les plus aguerris ont intériorisé. Un beau pied de nez à la philosophie de Mark Zuckerberg et à son Internet "plus transparent".
L'application Secret (uniquement disponible aux Etats-Unis et au Canada sur iPhone pour le moment) est au cœur de toutes les attentions outre-Atlantique et l'Europe l'attend avec impatience. Mais pourquoi sommes-nous volontaires pour nous dévoiler un peu plus encore? C'est la question que s'est posé Le HuffPost.
Après Secret Story, Secret l’appli
Depuis son lancement il y a deux semaines aux Etats-Unis, l’application de David Byttow et Chrys Bader (des anciens de Google et Square) passionne la Sillicon Valley.
Secret propose à ses utilisateurs de partager leurs pensées, leurs sentiments, leurs photos ou leurs ragots auprès des contacts de leur répertoire téléphonique qui utilisent également l’appli. Précision importante: les utilisateurs restent anonymes. Le slogan de Secret, c’est d’ailleurs “Parlez librement”.
Votre secret se diffuse d’abord dans votre cercle d’amis, mais il n’y reste pas forcément circonscrit: si l’un de vos “amis” aime votre secret, il devient visible par ses propres contacts et ainsi de suite. Au bout de six “j’aime”, votre secret devient totalement public et peut se retrouver sur la page d’accueil de l’appli.
"I secretly paint but..." pic.twitter.com/d6ixQQ1fuK
— Secret (@getsecret) 7 Février 2014
“Je peins en secret mais je n’ose pas le montrer à quiconque.”
Comme l’explique Le Plus, les secrets que l’on peut lire pour le moment restent bon enfant, mais en cherchant un peu on trouve aussi des rumeurs de rachat d’entreprises, des critiques sur des patrons et quelques pépites.
Les premiers utilisateurs sont en tout cas hypnotisés par ce nouveau jeu. “Les gens dévorent leur flux de secrets, décrit The Verge, un mélange imprévisible de sexe, de drogue et de l’industrie du potin. Un plan à trois pour la Saint-Valentin, des photos de votre meilleure beuh, une fellation dans la cuisine d’un restaurant - tout y est, c’est peut être vrai, peut être pas, mais vous allez forcément vous demandez qui a posté ça.”
Make the most of every day pic.twitter.com/tUtN3gVRwD
— Secret (@getsecret) 21 Février 2014
“Il y a sept ans j’ai fait une tentative de suicide et j’ai survécu. Aujourd’hui je suis un employé connu dans une start-up en vogue. Les gens pensent que je suis accro au travail, mais en fait je veux juste tirer le meilleur parti de chaque jour où je suis en vie.”
Le concept est croustillant mais on imagine rapidement les dérives possibles avec un tel outil. Secret a tout pour devenir le canal de diffusion de l’intox et de la diffamation - sa mécanique rappelle d’ailleurs trait pour trait le cheminement d’une rumeur… Et si, comme Snapchat qui promet que les photos s’autodétruisent, Secret venait à être hacké et les auteurs identifiés?
L’engouement pour cette nouvelle appli montre que ce sont des risques que l’on est prêt à prendre. Mais pourquoi au juste? Pourquoi se sent-on obligé de tout partager, même nos secrets?
En dire toujours plus
Nous avons posé la question à nos lecteurs, et pour la plupart d’entre eux, c’est simple, ils ne peuvent pas s’en empêcher. Il y a ceux qui veulent “s’occuper”, “s’amuser”, et ceux qui veulent “exister”, “appartenir à un groupe”, même virtuel.
Pour Benoist, “le temps est venu d’exister, même quelques secondes dans la tête de n’importe qui”. “Cela permet de se sentir appartenir à une communauté”, pense Raymonde. “On se sent moins isolé en partageant et en ayant l’avis des autres.” Une analyse que partage Theo pour qui, “l’être humain a constamment peur d’être seul”. “Partager toujours et encore, donne l’impression de faire partie de quelque chose.”
Ces témoignages rejoignent les analyses du psychiatre Stéphane Clerget sur le comportement des adolescents sur les réseaux sociaux.
“Les adolescents, pour la plupart, sont insatiables quand il s’agit d’échanger, explique le docteur au HuffPost. Les fameuses pulsions orales de la toute petite enfance sont à nouveau exacerbées et poussent à s’exprimer comme à avaler des informations qu’elles soient savantes ou futiles. Mais le face à face met les adolescents mal à l’aise. Ils contrôlent encore mal leur image et leur façon de parler. L’émotion les gagne facilement et ils craignent que des propos, des pensées refoulées ne leur échappent. Les réseaux sociaux permettent de s’exprimer sans avoir à engager ni sa voix, ni son corps et d’avoir une meilleur maîtrise du contenu des messages envoyés, analyse l’auteur du “Guide de l’ado à l’usage des parents”.
Mais pour Stéphane Clerget, ces réseaux répondent aussi au besoin de reconnaissance sociale des jeunes. “L’ado est nostalgique de sa toute petite enfance quand, entouré de l’attention de tout son entourage, il se pensait le centre du monde. Il s’agit cette fois d’être reconnu non pas simplement par la famille dont on se détache mais d’une nouvelle société de pairs.”
Visiblement, nous sommes tous de grands ados. Et, ado ou pas, le secret est quelque chose de très séduisant.
Le confessional 2.0
“Ce que propose Secret, c’est un confessionnal laïc, analyse Laurence Corroy qui enseigne l'éducation aux médias à la Sorbonne Nouvelle. C’est une façon de se délivrer d’une information qui nous pèse, tout en se protégeant.”
Le succès du réseau Secret repose à la fois sur ce besoin de la confession que sur le voyeurisme. “Avouer ses actions ou pensées coupables soulage, avec en guise d’absolution des commentaires attendus”, admet Stéphane Clerget.
Mais pour le psychiatre, le succès de ce réseau s’appuie essentiellement sur l’intérêt que l’on porte tous aux secrets. “Ce qui est caché attire l’œil et l’oreille, le secret enveloppe l’information d’un aura qui en accroît l’importance et donc l’audience, analyse Stéphane Clerget. D’ailleurs, seuls des amis nous confient leur secret et avoir quelqu’un a qui confié un secret est l’un des bonheurs de l’amitié.”
De nouvelles assurances pour se lâcher
Mais ceux qui sont prêts à utiliser Secret ou à télécharger illico toutes les "applis du moment" sont-ils conscients des risques?
“Malgré les mises en garde parentales, les jeunes ne sont pas dans la crainte de laisser des traces de soi potentiellement préjudiciables car par définition le début de l’adolescence ne rend pas possible le recul d’un adulte - autant demander a un enfant de 3 ans d’être raisonnable”, tranche le psychiatre.
Un avis que ne partage pas forcément, Laurence Corroy. Pour elle, “le succès de Secret c’est un pas de plus dans l’exposition de l’intime, mais on note en même temps l’attrait des utilisateurs pour le droit à l’oubli et le retour de l’anonymat.”
“On sait qu’avec Facebook et Google nous laissons des traces, qu’on le veuille ou non, de façon définitive. L’amnésie n’est pas possible. En réaction, on voit apparaître le droit à l’oubli, le retour de l’anonymat.”
Le succès de l’application Snapchat, c’est en effet ce droit à l’oubli: les photos ayant une durée de vie de quelques secondes, l’utilisateur est assuré que les preuves s’autodétruisent.
D’un côté l’éphémère, de l’autre l’anonymat. Secret, Whisper (une autre appli autour du secret qui a récemment levé 21 millions de dolars) ou encore ask.fm (où les ados se posent des questions et s’engagent à y répondre) misent sur ce second modèle.
Avec ces “assurances”, les nouvelles applications à succès sont parvenues à contrer la notion de danger que les utilisateurs les plus aguerris ont intériorisé. Un beau pied de nez à la philosophie de Mark Zuckerberg et à son Internet "plus transparent".
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