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Tunisie: Dépôt légal avant publication, "un texte conforme au décret-loi 115" selon les autorités

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Juste avant de céder la place au cabinet de technocrates de Mehdi Jomâa, le gouvernement Ali Larayedh démissionnaire, a signé un décret qui n'est pas passé inaperçu: le décret n° 2014-59 du 7 janvier 2014 concernant le dépôt légal. Des médias tunisiens ont alors crié au scandale. "Le coup fourré" lit-on à la Une du journal La Presse de ce lundi 3 février. Mais la présidence du gouvernement se défend, en affirmant n'avoir fait qu'appliquer le décret-loi 115. Reporters sans Frontières espère une révision du décret d'application.

Le dépôt légal, c'est quoi?

Le dépôt légal est le fait de remettre à l'administration des exemplaires d'une production éditoriale à des fins d'archivage. Il s'agit d'une procédure qui incombe aux éditeurs et aux imprimeurs, obligatoire dans certains pays, facultative mais encouragée dans d'autres. Elle a pour objectif de "conserver la mémoire collective" et collecter le patrimoine national.

L'UNESCO encourage d'ailleurs le dépôt légal et aimerait l'étendre aux publications numériques.

"Les principales raisons d'être du dépôt légal sont de constituer une collection complète des publications nationales et d'établir un registre bibliographique national officiel, afin d'assurer la préservation des publications et de les rendre aisément accessibles. Ces deux fonctions essentielles ont tout autant lieu d'être dans le milieu de l'édition électronique que dans le cadre traditionnel de l'édition sur papier." écrit l'organisation mondiale sur son site.


Un texte conforme au décret-loi 115

Le décret signé par le gouvernement d'Ali Larayedh le 7 janvier 2014 concernant le dépôt légal a suscité la polémique dans certains médias. Ce n'est pas le principe du dépôt légal qui est contesté mais la procédure, précisée dans l'article 3 du décret.

"Chaque imprimeur, producteur, éditeur ou distributeur selon le cas, qu’il soit personne physique ou morale, a pour obligation d’enregistrer et de déposer les œuvres périodiques ou non périodiques, à titre onéreux ou gratuit conformément aux procédures prévues par le présent décret, et ce, avant même de les mettre à la disposition du public".


Pour le journal La Presse, l'obligation de du dépôt légal "avant la mise à la disposition du public" équivaut à "un retour à la case départ" comme c'était le cas sous Ben Ali quand le régime usait de cette procédure pour contrôler les publications et les censurer.


"Avec ce décret, il est possible d’empêcher la sortie de toute publication en lui refusant d’être déposée", soutient le site d'information en ligne Business news. "Avec ce nouveau décret, on croit comprendre que c'est un retour à la case départ: enregistrement, dépôt légal et attente de l'autorisation de diffuser sur le marché." pouvait-on lire dans le quotidien ce lundi.

Faux, répond Abdelssalem Zbidi, chargé de la communication au Premier ministère sous Larayedh et toujours en poste. "Le gouvernement n'a fait que se conformer au décret-loi 115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l'imprimerie et de l'édition", déclare-t-il au HuffPost Maghreb. Les procédures d’enregistrement et de dépôt légal prévues dans ce décret-loi devaient être fixées par décret.

En effet, l'article 5 du décret-loi 115 stipule:

"Chaque imprimeur, producteur ou éditeur d’une des œuvres non périodiques mentionnées dans le paragraphe premier de l’article 3 du présent décret-loi, produites ou reproduites en Tunisie, doit, selon le cas, effectuer un dépôt en six exemplaires auprès des services du Premier Ministère chargés de l’information et ce, avant toute mise à la disposition du public. "


"Il s'agit d'une formalité", rassure M. Zbidi. "Cette procédure ne vise en aucun cas contrôler, censurer, ou accorder une autorisation préalable, mais de déposer une publication et d'avoir un récépissé. C'est une formalité pour préserver la mémoire collective", affirme-t-il.

"Les services concernés du Premier Ministère doivent, dans un délai maximum d’un mois à compter de la date du dépôt, remettre deux des six exemplaires reçus, imprimés et non périodiques produits ou reproduits en Tunisie, au Centre National de Documentation aux fins d’archivage et deux exemplaires à la Bibliothèque Nationale aux fins de la conservation de la mémoire nationale." Article 5 du décret-loi 115.


Pareil pour la distribution des oeuvres étrangères. Selon l'article 8 du décret n° 2014-59 du 7 janvier, "le dépôt légal des œuvres non périodiques produites à l’étranger et introduites en Tunisie en vue de leur vente, incombe au distributeur qui doit en déposer un exemplaire auprès des services de la Présidence du gouvernement chargés de l’information, et ce, avant la mise de l’œuvre dans les circuits de distribution". Une mesure mentionnée dans l'article 5 du décret-loi 115.

Que se passe-t-il si on ne s'y conforme pas? "Les sanctions sont celles prévues dans le décret-loi 115" soutient M. Zbidi. Il s'agit de pénalités financières énoncées dans l'article 19 :

"Le dépôt légal est effectué en six exemplaires auprès des services du Premier Ministère chargés de l’information. Ces services doivent remettre, dans un délai ne dépassant pas un mois à compter de la date du dépôt, deux des exemplaires déposés au centre national de la documentation aux fins d’archivage, et deux autres à la bibliothèque nationale aux fins de conservation de la mémoire nationale. Est puni d’une amende de deux mille à cinq mille dinars le directeur du périodique qui aura contrevenu à ces dispositions."


"Ce n'est pas un nouveau texte mais une application du texte du décret-loi 115" insiste Abdessalem Zbidi. "J'appelle ceux qui critiquent le gouvernement à relire le texte" ajoute-t-il.

Le dépôt légal avant publication: Une problématique "qu'il faut réviser"

Le décret-loi 115 relatif à la liberté de la presse, de l'impression et de l'édition, signé le 2 novembre 2011 par l’ex-président intérimaire Foued M'bazaâ a longtemps été bloqué par le gouvernement de la troïka. Reporters sans frontières ainsi que les professionnels des médias ont appelé à activer son application. Le dépôt légal "avant publication distribution", personne ne l'a remis en cause auparavant. Aujourd'hui, la présidence du gouvernement affirme n'avoir fait que se conformer à ce décret-loi que la corporation a appelé à activer.

Olivia Gré, directrice du bureau de Reporters sans Frontières en Tunisie avoue que le décret-loi 115 "n'est pas parfait" et qu'il y des choses à revoir", mais il a été soutenu par RSF car il était plus intéressant que l'ancien code de presse.

"Ce qui est problématique, c'est le dépôt avant la publication" explique-t-elle. "Nous ne remettons pas en cause le dépôt légal mais il faut que cela soit une procédure soit déclarative et non soumise à une autorisation préalable" ajoute-t-elle.

Une autorisation préalable serait même contraire à l'article 31 de la Constitution qui stipule que "les libertés d'opinion, de pensée, d'expression, d'information et de publication. Ces libertés ne sauraient être soumises à un contrôle préalable."

Pour M. Zbidi cette procédure n'est effectivement pas soumise à autorisation. "Il n'y a pas de lien entre le dépôt et la publication, aucun lien entre le dépôt et la distribution", dit-il en expliquant que ce n'est pas conditionné mais qu'il faut respecter les délais. Sauf que, le texte du décret-loi 115, aussi bien que celui du décret n° 2014-59 du 7 janvier 2014, restent flou. L'obligation d'un dépôt légal "avant mise à la disposition du public" est mentionnée sans préciser qu'il s'agit seulement d'une mesure déclarative. Pour les professionnels des médias, pouvoir user ultérieurement de cette procédure administrative et la soumettre à une autorisation, peut inquiéter.

Dans un pays qui a longtemps souffert du contrôle et de la censure des médias, l'obligation d'un dépôt légal avant publication et distribution fait renaître les traumatismes du passé. La directrice de RSF Tunisie espère une révision du décret avant sa mise en application pour "Il faut absolument rectifier cela". insiste-t-elle.

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