Mercredi 29 janvier sort Jacky au royaume des filles, comédie réalisée par Riad Sattouf, qui embarque le spectateur en République populaire et démocratique de Bubunne où les rôles sont inversés.
Pendant que les femmes occupent les plus hautes fonctions de l'état et font la guerre, les hommes sont voilés et cantonnés aux travaux domestiques. Quant à Jacky (Vincent Lacoste), il partage le même fantasme que tous les célibataires de son pays, devenir Grand Couillon en épousant la Colonelle (Charlotte Gainsbourg).
Dessinateur de bandes-dessinées et réalisateur d'origine syrienne, Riad Sattouf a vécu toute son enfance entre l'Algérie, la Libye et la Syrie. Il a notamment été récompensé du César du meilleur premier film pour Les Beaux Gosses.
Bande-annonce:
Interrogé par le HuffPost, Riad Sattouf est revenu sur la genèse du film, son tournage en Georgie et le message qu'il a voulu faire passer avec cette hilarante dystopie.
Riad Sattouf: j’ai suivi la trame du conte de Cendrillon en le transposant dans une société totalitaire baptisée Bubunne. J'ai essayé de comprendre pourquoi ces histoires finissent toujours par un mariage tout en tentant de m'affranchir de certains schémas classiques. Je voulais éviter de faire dans “la glorification de la reproduction familiale”. La plus part des films, même d'auteurs, ont la même morale, qui est un peu celle de Transformers également, celle de la société patriarcale..
J'ai une fascination pour les régimes totalitaires et c'est souvent difficile à expliquer pour quelqu’un qui n’a pas vécu dans un pays communiste. J’ai passé mon enfance en Syrie à regarder des nanars, des sous-Mad Max italiens ou espagnols doublés en arabe avec des héros qui portent la banane et se battent sur des motos ou des voitures. Il y a des éléments que j'ai déjà utilisés dans ma bande dessinée, Pascal Brutal, qui se situe dans monde post-apocalyptique et décadent.
![pascal brutal]()
J'ai lu 1984 pendant l'élaboration du scénario de Jacky L'alimentation de Bubunne, cette bouillie qui sort du robinet, représente la pensée unique du régime, le refus de se nourrir d'autres sources d'inspiration. Cette bouillie circule de maison en maison, de cerveau en cerveau, sans jamais évoluer. La religion, le langage et la politique sont autant d'instruments de domination d’un sexe sur l’autre.
Riad Sattouf: j'ai féminisé certains mots d'autorité. Un blasphème est devenu une "blasphèmerie". Dans l'autre sens, j'ai pris une culotte, qui est plutôt sexy quand on l'associe à une fille, pour la transformer en "culottin", qui s'avère un peu ridicule quand il est porté par des hommes se trémoussant devant une glace.
Ce jeu sur le langage me permet de renvoyer une image miroir du monde réel. J'ai opéré de la même manière avec les scènes d’action potentiellement spectaculaires. J’ai voulu les ridiculiser. La fuite en poney ou la poursuite dans le palais prennent le contre pied des codes du cinéma patriarcal. Je voulais aussi l'appliquer au son des armes à feu qui est beaucoup plus violent que d'ordinaire. C'est une manière de se moquer.
Riad Sattouf: le cheval est un animal qui m’a toujours fait un peu peur et que je trouve ultra-stupide. Il est reconnu comme étant très limité intellectuellement mais en même temps, il dégage une sensation de force et de virilité intense. J'ai trouvé ça rigolo de détourner ce symbole, de jouer avec la figure équestre - qui est souvent considérée comme la plus grande conquête de l’homme - et de l'utiliser comme un vecteur de sacré.
Nous avons tourné des scènes avec un poney sauvage du zoo de Tbilissi. Pour dresser un cheval, il faut le briser, le casser et l’humilier. Lui n’avait jamais porté personne. Il vivait comme une antilope dans un enclos. C’était impressionnant de voir toutes les expressions qu’il avait et que n’ont plus les chevaux domestiqués. Il attaquait et refusait d’être approché.
Riad Sattouf: nous nous sommes installés dans un village qui s’appelle Tserovani. Tout le tournage a eu lieu dans des décors réels. Le Palais de la Générale c’est celui de Gori qui est la ville natale de Staline. C'est une ville qui possède un musée entièrement dédiée à sa mémoire. Sa maison est même entourée d'un mausolée. La présence du totalitarisme se lit dans la géographie, la façon dont les immeubles sont construits et les rues agencées. Les gens qui sont figurants sur Jacky ont connu l’époque du communisme. Ils étaient très sensibles à l’histoire. Il y a des femmes qui n’avaient jamais mis de pantalons de leur vie avant le tournage.
![tserovani]()
Riad Sattouf: si j’avais eu envie de parler du monde musulman, je ne me serais pas gêné de le faire comme je l'ai abordé dans mes bandes dessinées. Je n'ai pas besoin de me dissimuler. Les grandes dictatures qui existent encore aujourd'hui sont notamment situées au Moyen-Orient et dans les pays du Maghreb mais ce n'est pas une référence directe. Je voulais parler du patriarcat. Pour cette raison, j’ai inventé une religion propre à Bubunne.
Par exemple, ma grand mère bretonne et ma grand mère syrienne vivaient à 8000 km l'une de l'autre, et pourtant leur vies n'était pas si différentes: elles restaient à la maison, faisaient a manger, s'occupaient des enfants... Cela n'avait rien a voir avec la religion ou la culture! C'est le patriarcat... Mon père était le premier de sa famille à avoir appris à lire et à écrire.
Au delà de la domination d'une religion par exemple, c’est plus l'influence du communisme - la Syrie était un allié de l’URSS - que je retiens. Il y avait une instrumentalisation de la foi pour servir l'intérêt d'un dictateur comme dans Bubunne. C'est ce souvenir de totalitarisme que je garde et qui m’a plus servi d’inspiration que la lourdeur de la société traditionnelle musulmane.
Riad Sattouf: la voilerie des personnages peut rappeler le voile islamique mais elle s'inspire aussi de la tenue des bonnes sœurs et rappelle les couleurs des moines bouddhistes. Pour ma part, je suis très nuancé. Il y a des situations où les femmes sont obligé de porter le voile. Dans d’autres, elles le font par choix réel. Ce qui est difficile à comprendre pour des gens qui regardent les choses de dehors.
J’ai des tantes qui ont toujours porté le voile et elles étaient contentes de le faire. Elles n'auraient pas pu mettre une mini-jupe, même si elles en avaient eu la possibilité: c'est parler de ce conditionnement qui m'intéresse. Dans l'idéal, je suis pour plus de libertés. Plutôt qu'une interdiction qui ne ferait que générer des excitations, j’aimerais dix libertés supplémentaires comme celle de se balader nu dans la rue. De toute façon, je suis convaincu que la fin du film empêche toute instrumentalisation.
Le hijab est considéré comme la tenue vestimentaire la plus correcte en Tunisie, d'après une étude américaine
Pendant que les femmes occupent les plus hautes fonctions de l'état et font la guerre, les hommes sont voilés et cantonnés aux travaux domestiques. Quant à Jacky (Vincent Lacoste), il partage le même fantasme que tous les célibataires de son pays, devenir Grand Couillon en épousant la Colonelle (Charlotte Gainsbourg).
Dessinateur de bandes-dessinées et réalisateur d'origine syrienne, Riad Sattouf a vécu toute son enfance entre l'Algérie, la Libye et la Syrie. Il a notamment été récompensé du César du meilleur premier film pour Les Beaux Gosses.
Bande-annonce:
Interrogé par le HuffPost, Riad Sattouf est revenu sur la genèse du film, son tournage en Georgie et le message qu'il a voulu faire passer avec cette hilarante dystopie.
D’où est venue l’idée de Jacky au royaume des filles?
Riad Sattouf: j’ai suivi la trame du conte de Cendrillon en le transposant dans une société totalitaire baptisée Bubunne. J'ai essayé de comprendre pourquoi ces histoires finissent toujours par un mariage tout en tentant de m'affranchir de certains schémas classiques. Je voulais éviter de faire dans “la glorification de la reproduction familiale”. La plus part des films, même d'auteurs, ont la même morale, qui est un peu celle de Transformers également, celle de la société patriarcale..
J'ai une fascination pour les régimes totalitaires et c'est souvent difficile à expliquer pour quelqu’un qui n’a pas vécu dans un pays communiste. J’ai passé mon enfance en Syrie à regarder des nanars, des sous-Mad Max italiens ou espagnols doublés en arabe avec des héros qui portent la banane et se battent sur des motos ou des voitures. Il y a des éléments que j'ai déjà utilisés dans ma bande dessinée, Pascal Brutal, qui se situe dans monde post-apocalyptique et décadent.

J'ai lu 1984 pendant l'élaboration du scénario de Jacky L'alimentation de Bubunne, cette bouillie qui sort du robinet, représente la pensée unique du régime, le refus de se nourrir d'autres sources d'inspiration. Cette bouillie circule de maison en maison, de cerveau en cerveau, sans jamais évoluer. La religion, le langage et la politique sont autant d'instruments de domination d’un sexe sur l’autre.
Comment avez-vous travaillé sur le vocabulaire utilisé?
Riad Sattouf: j'ai féminisé certains mots d'autorité. Un blasphème est devenu une "blasphèmerie". Dans l'autre sens, j'ai pris une culotte, qui est plutôt sexy quand on l'associe à une fille, pour la transformer en "culottin", qui s'avère un peu ridicule quand il est porté par des hommes se trémoussant devant une glace.
Ce jeu sur le langage me permet de renvoyer une image miroir du monde réel. J'ai opéré de la même manière avec les scènes d’action potentiellement spectaculaires. J’ai voulu les ridiculiser. La fuite en poney ou la poursuite dans le palais prennent le contre pied des codes du cinéma patriarcal. Je voulais aussi l'appliquer au son des armes à feu qui est beaucoup plus violent que d'ordinaire. C'est une manière de se moquer.
Pourquoi avoir choisi le cheval comme symbole religieux?
Riad Sattouf: le cheval est un animal qui m’a toujours fait un peu peur et que je trouve ultra-stupide. Il est reconnu comme étant très limité intellectuellement mais en même temps, il dégage une sensation de force et de virilité intense. J'ai trouvé ça rigolo de détourner ce symbole, de jouer avec la figure équestre - qui est souvent considérée comme la plus grande conquête de l’homme - et de l'utiliser comme un vecteur de sacré.
Nous avons tourné des scènes avec un poney sauvage du zoo de Tbilissi. Pour dresser un cheval, il faut le briser, le casser et l’humilier. Lui n’avait jamais porté personne. Il vivait comme une antilope dans un enclos. C’était impressionnant de voir toutes les expressions qu’il avait et que n’ont plus les chevaux domestiqués. Il attaquait et refusait d’être approché.
Comment s’est passé le tournage en Georgie?
Riad Sattouf: nous nous sommes installés dans un village qui s’appelle Tserovani. Tout le tournage a eu lieu dans des décors réels. Le Palais de la Générale c’est celui de Gori qui est la ville natale de Staline. C'est une ville qui possède un musée entièrement dédiée à sa mémoire. Sa maison est même entourée d'un mausolée. La présence du totalitarisme se lit dans la géographie, la façon dont les immeubles sont construits et les rues agencées. Les gens qui sont figurants sur Jacky ont connu l’époque du communisme. Ils étaient très sensibles à l’histoire. Il y a des femmes qui n’avaient jamais mis de pantalons de leur vie avant le tournage.

Est-ce que Jacky est une satire du monde musulman?
Riad Sattouf: si j’avais eu envie de parler du monde musulman, je ne me serais pas gêné de le faire comme je l'ai abordé dans mes bandes dessinées. Je n'ai pas besoin de me dissimuler. Les grandes dictatures qui existent encore aujourd'hui sont notamment situées au Moyen-Orient et dans les pays du Maghreb mais ce n'est pas une référence directe. Je voulais parler du patriarcat. Pour cette raison, j’ai inventé une religion propre à Bubunne.
Par exemple, ma grand mère bretonne et ma grand mère syrienne vivaient à 8000 km l'une de l'autre, et pourtant leur vies n'était pas si différentes: elles restaient à la maison, faisaient a manger, s'occupaient des enfants... Cela n'avait rien a voir avec la religion ou la culture! C'est le patriarcat... Mon père était le premier de sa famille à avoir appris à lire et à écrire.
Au delà de la domination d'une religion par exemple, c’est plus l'influence du communisme - la Syrie était un allié de l’URSS - que je retiens. Il y avait une instrumentalisation de la foi pour servir l'intérêt d'un dictateur comme dans Bubunne. C'est ce souvenir de totalitarisme que je garde et qui m’a plus servi d’inspiration que la lourdeur de la société traditionnelle musulmane.
Et le voile est-il une référence au voile islamique?
Riad Sattouf: la voilerie des personnages peut rappeler le voile islamique mais elle s'inspire aussi de la tenue des bonnes sœurs et rappelle les couleurs des moines bouddhistes. Pour ma part, je suis très nuancé. Il y a des situations où les femmes sont obligé de porter le voile. Dans d’autres, elles le font par choix réel. Ce qui est difficile à comprendre pour des gens qui regardent les choses de dehors.
J’ai des tantes qui ont toujours porté le voile et elles étaient contentes de le faire. Elles n'auraient pas pu mettre une mini-jupe, même si elles en avaient eu la possibilité: c'est parler de ce conditionnement qui m'intéresse. Dans l'idéal, je suis pour plus de libertés. Plutôt qu'une interdiction qui ne ferait que générer des excitations, j’aimerais dix libertés supplémentaires comme celle de se balader nu dans la rue. De toute façon, je suis convaincu que la fin du film empêche toute instrumentalisation.
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