"Nous voulons élaborer une Constitution pour tous les Tunisiens". Nombreux sont les députés et représentants de partis politiques tunisiens qui ont eu ce discours et continuent de l'avoir.
Mais la conception du "peuple tunisien" est souvent limitées dans ces discours empreints d'idéologie: "Tous les Tunisiens sont musulmans", "l'identité arabo-musulmane du peuple tunisien", "le peuple tunisien est attaché à son identité arabo-musulmane, son Islam est ouvert et modéré"…
La définition du peuple tunisien est donc définie et encadrée par les représentants politiques, elle diffère légèrement selon les orientations idéologiques. Chacun veut y mettre sa touche personnelle, quitte à ce que dans la version quasi-finale de la Constitution, les phrases soient interminables ou les dispositions deviennent contradictoires.
Non, la Constitution nest pas celle de tous les Tunisiens. Certains en sont exclus:
Selon les interprétations de l'article 1 de la Constitution, l'Islam est soit la religion de l'Etat, soit la religion de la Tunisie (comprenez le peuple tunisien). Que ce soit l'un ou l'autre, les références à l'Islam sont nombreuses et la liberté de conscience extrêmement limitée.
Mais l'exclusion la plus explicite à ce sujet reste celle de l'article 73, où sont énoncées les conditions d'éligibilité du Président de la République. Le premier paragraphe dispose ainsi que: "La candidature à la présidence de la République est un droit pour tout électrice ou électeur tunisiens (...) dont la religion est l'Islam".
Pour de nombreux députés, cette condition sonne comme une évidence. Ainsi, dans la commission chargée des pouvoirs exécutifs et législatifs, ces députés ne trouvaient pas pertinent de le justifier, malgré les faibles protestations et les arguments d'autres élus.
"Pour vous ça n'a pas de sens mais pour d'autres ça en a", rétorquait en novembre 2012 Amel Ghouil, élue Ennahdha à Samia Abbou (Courant démocratique). Cette dernière jugeait en effet que la condition d'islamité du Président de la République n'avait aucun sens, qu'elle n'était pas vérifiable et que Ben Ali lui-même était considéré comme un musulman. Ce à quoi Amel Ghouil avait répondu: "Je ne vais pas lui demander de me montrer comment il prie, sa religion est l'Islam et on passe, ça s'arrête là!".
Cette exclusion apporte également des limites à la liberté de conscience. Il ne sera pas demandé au Président de la République de prouver son appartenance à la religion comme l'affirme la députée islamiste.
L'Etat pourra ainsi décider sur la base de critères indépendants de la "croyance" effective, si la personne concernée répond à cette condition, par ses origines, la consonance de son nom de famille, ou d'autres types de critères justifiant la religion automatiquement octroyée à un citoyen tunisien.
Ainsi, la "conscience" ou la "croyance" du citoyen est fixée a priori et justifie les affirmations telles que "99% des Tunisiens sont musulmans", sans qu'aucune étude statistique ne soit invoquée.
La liberté de conscience des citoyens et l'acceptation des autres croyances est également remise en cause par l'article 38 de la Constitution. Cet article tel qu'adopté donne à l'enseignement public le rôle d'enraciner l'identité arabo-musulmane dès le plus jeune âge. Les futurs citoyens seront donc conditionnés afin que leur "conscience" corresponde à la définition donnée au peuple tunisien.
A cela s'ajoute enfin l'article 6, dans lequel la "liberté de conscience" est énoncée mais qui interdit (jusqu'ici) l'accusation d'apostasie, donnant de fait une connotation négative au fait d'être apostat.
L'article 73 sur les conditions d'éligibilité du Président de la République est représentatif des différents types d'exclusion que la Constitution tunisienne institue. En plus d'être musulman, le Président doit être Tunisien "de naissance".
L'article 52 sur les conditions de candidature à l'Assemblée des représentants du peuple apporte une autre forme d'exclusion arbitraire à l'encontre des Tunisiens naturalisés. S'il leur est strictement interdit d'être élus à la tête de l'Etat, ils ne peuvent être députés que s'ils sont Tunisiens depuis plus de 10 ans.
Par ailleurs, l'article 73 adopté devrait encore être révisé pour que les binationaux ne soient éligibles que s'ils renoncent à l'autre nationalité avant de se porter candidat (et non plus s'ils sont élus, comme l'énonce la version actuelle).
Comme les non-musulmans, les citoyens tunisiens naturalisés et les citoyens tunisiens détenteurs d'une autre nationalité ont moins de droits que les autres. Mais ce n'est pas tout…
Les jeunes tunisiens ne sont pas jugés aptes à la vie politique selon le projet de Constitution.
Les articles 52 et 73 en témoignent. Pour le premier article relatif aux élections législatives, les électeurs âgés de 18 à 23 ans ne sont pas éligibles. Pour le second relatif à l'élection présidentielle, il faut attendre 35 ans avant de pouvoir prétendre exercer ce droit.
Enfin, l'article 8 relatif aux jeunes ne garantit pas la mise en œuvre des moyens nécessaires à la participation des jeunes dans les différents domaines cités. L'amendement déposé par Nadia Chaâbane, qui visait à énoncer ces garanties, a été rejeté.
Mais plusieurs organisations défendant le droit des jeunes n'en démordent pas et mettent la pression pour que ces dispositions soient révisées avant l'adoption définitive de la Constitution.
LIRE AUSSI:
Indépendamment de ces exclusions par le droit, les Constituants n'ont pas réussi à se mettre entièrement d'accord sur la définition qu'ils voulaient imposer à la Tunisie, à son histoire ou à son peuple. Ainsi, plusieurs dispositions quasiment contradictoires ont été énoncées, particulièrement dans le Préambule:
Entre les défenseurs de la révolution du 17 décembre et ceux du 14 janvier, rien ne va plus. Pour ne pas trancher, les députés avaient dans un premier temps choisi de ne pas inscrire de date afin de ne froisser aucun des deux camps.
Mais c'était sans compter les pressions exercées par les tenants du 17 décembre. Ainsi, la révolution sera celle du "17 décembre 2010 - 14 janvier 2011". Un tiret qui en dit long.
Pour n'exclure aucun peuple, le paragraphe 5 du Préambule les cite tous, à différents degrés. Si la consolidation et l'appartenance va à la nation arabe et musulmane, la complémentarité est octroyée aux peuples musulmans et africains. Et, pour intégrer les autres peuples, la "coopération" est descernée aux "peuples du monde".
Seule exclusion, celle de "l'appartenance méditerranéenne", mise au ban car elle favorise une forme de normalisation avec l'Etat d'Israël.
Après de vives protestations, l'inscription de l'universalité des droits de l'Homme a finalement été ajoutée au projet de Constitution. Pour contenter les musulmans "modérés", l'attachement du peuple à un Islam ouvert et modéré est également exprimée.
Le paragraphe 3 du Préambule tente donc un équilibre instable entre les "principes universels des droits de l'Homme" en plus "des acquis universels de la civilisation humaine" et "les acquis nationaux", "l'identité "arabo-musulmane" ou encore "les enseignements de l'Islam".
Entre des principes universels et des principes particuliers, pourquoi choisir?
La Constitution tunisienne sera une constitution sur tout, mais pas pour tous.
Mais la conception du "peuple tunisien" est souvent limitées dans ces discours empreints d'idéologie: "Tous les Tunisiens sont musulmans", "l'identité arabo-musulmane du peuple tunisien", "le peuple tunisien est attaché à son identité arabo-musulmane, son Islam est ouvert et modéré"…
La définition du peuple tunisien est donc définie et encadrée par les représentants politiques, elle diffère légèrement selon les orientations idéologiques. Chacun veut y mettre sa touche personnelle, quitte à ce que dans la version quasi-finale de la Constitution, les phrases soient interminables ou les dispositions deviennent contradictoires.
Les exclus
Non, la Constitution nest pas celle de tous les Tunisiens. Certains en sont exclus:
- Les non-musulmans
Selon les interprétations de l'article 1 de la Constitution, l'Islam est soit la religion de l'Etat, soit la religion de la Tunisie (comprenez le peuple tunisien). Que ce soit l'un ou l'autre, les références à l'Islam sont nombreuses et la liberté de conscience extrêmement limitée.
Mais l'exclusion la plus explicite à ce sujet reste celle de l'article 73, où sont énoncées les conditions d'éligibilité du Président de la République. Le premier paragraphe dispose ainsi que: "La candidature à la présidence de la République est un droit pour tout électrice ou électeur tunisiens (...) dont la religion est l'Islam".
Pour de nombreux députés, cette condition sonne comme une évidence. Ainsi, dans la commission chargée des pouvoirs exécutifs et législatifs, ces députés ne trouvaient pas pertinent de le justifier, malgré les faibles protestations et les arguments d'autres élus.
"Pour vous ça n'a pas de sens mais pour d'autres ça en a", rétorquait en novembre 2012 Amel Ghouil, élue Ennahdha à Samia Abbou (Courant démocratique). Cette dernière jugeait en effet que la condition d'islamité du Président de la République n'avait aucun sens, qu'elle n'était pas vérifiable et que Ben Ali lui-même était considéré comme un musulman. Ce à quoi Amel Ghouil avait répondu: "Je ne vais pas lui demander de me montrer comment il prie, sa religion est l'Islam et on passe, ça s'arrête là!".
Cette exclusion apporte également des limites à la liberté de conscience. Il ne sera pas demandé au Président de la République de prouver son appartenance à la religion comme l'affirme la députée islamiste.
L'Etat pourra ainsi décider sur la base de critères indépendants de la "croyance" effective, si la personne concernée répond à cette condition, par ses origines, la consonance de son nom de famille, ou d'autres types de critères justifiant la religion automatiquement octroyée à un citoyen tunisien.
Ainsi, la "conscience" ou la "croyance" du citoyen est fixée a priori et justifie les affirmations telles que "99% des Tunisiens sont musulmans", sans qu'aucune étude statistique ne soit invoquée.
La liberté de conscience des citoyens et l'acceptation des autres croyances est également remise en cause par l'article 38 de la Constitution. Cet article tel qu'adopté donne à l'enseignement public le rôle d'enraciner l'identité arabo-musulmane dès le plus jeune âge. Les futurs citoyens seront donc conditionnés afin que leur "conscience" corresponde à la définition donnée au peuple tunisien.
A cela s'ajoute enfin l'article 6, dans lequel la "liberté de conscience" est énoncée mais qui interdit (jusqu'ici) l'accusation d'apostasie, donnant de fait une connotation négative au fait d'être apostat.
- Les Tunisiens naturalisés et les binationaux
L'article 73 sur les conditions d'éligibilité du Président de la République est représentatif des différents types d'exclusion que la Constitution tunisienne institue. En plus d'être musulman, le Président doit être Tunisien "de naissance".
L'article 52 sur les conditions de candidature à l'Assemblée des représentants du peuple apporte une autre forme d'exclusion arbitraire à l'encontre des Tunisiens naturalisés. S'il leur est strictement interdit d'être élus à la tête de l'Etat, ils ne peuvent être députés que s'ils sont Tunisiens depuis plus de 10 ans.
Par ailleurs, l'article 73 adopté devrait encore être révisé pour que les binationaux ne soient éligibles que s'ils renoncent à l'autre nationalité avant de se porter candidat (et non plus s'ils sont élus, comme l'énonce la version actuelle).
Comme les non-musulmans, les citoyens tunisiens naturalisés et les citoyens tunisiens détenteurs d'une autre nationalité ont moins de droits que les autres. Mais ce n'est pas tout…
- Les jeunes
Les jeunes tunisiens ne sont pas jugés aptes à la vie politique selon le projet de Constitution.
Les articles 52 et 73 en témoignent. Pour le premier article relatif aux élections législatives, les électeurs âgés de 18 à 23 ans ne sont pas éligibles. Pour le second relatif à l'élection présidentielle, il faut attendre 35 ans avant de pouvoir prétendre exercer ce droit.
Enfin, l'article 8 relatif aux jeunes ne garantit pas la mise en œuvre des moyens nécessaires à la participation des jeunes dans les différents domaines cités. L'amendement déposé par Nadia Chaâbane, qui visait à énoncer ces garanties, a été rejeté.
Mais plusieurs organisations défendant le droit des jeunes n'en démordent pas et mettent la pression pour que ces dispositions soient révisées avant l'adoption définitive de la Constitution.
LIRE AUSSI:
- La jeunesse s'active pour se faire plus de place dans la Constitution
- La Constitution garantit-elle réellement l'égalité entre les citoyens et les citoyennes?
La multiplication des définitions
Indépendamment de ces exclusions par le droit, les Constituants n'ont pas réussi à se mettre entièrement d'accord sur la définition qu'ils voulaient imposer à la Tunisie, à son histoire ou à son peuple. Ainsi, plusieurs dispositions quasiment contradictoires ont été énoncées, particulièrement dans le Préambule:
- La date de la révolution:
Entre les défenseurs de la révolution du 17 décembre et ceux du 14 janvier, rien ne va plus. Pour ne pas trancher, les députés avaient dans un premier temps choisi de ne pas inscrire de date afin de ne froisser aucun des deux camps.
Mais c'était sans compter les pressions exercées par les tenants du 17 décembre. Ainsi, la révolution sera celle du "17 décembre 2010 - 14 janvier 2011". Un tiret qui en dit long.
- Les peuples complémentaires et les peuples coopératifs
Pour n'exclure aucun peuple, le paragraphe 5 du Préambule les cite tous, à différents degrés. Si la consolidation et l'appartenance va à la nation arabe et musulmane, la complémentarité est octroyée aux peuples musulmans et africains. Et, pour intégrer les autres peuples, la "coopération" est descernée aux "peuples du monde".
Seule exclusion, celle de "l'appartenance méditerranéenne", mise au ban car elle favorise une forme de normalisation avec l'Etat d'Israël.
- Principes universels et principes particuliers
Après de vives protestations, l'inscription de l'universalité des droits de l'Homme a finalement été ajoutée au projet de Constitution. Pour contenter les musulmans "modérés", l'attachement du peuple à un Islam ouvert et modéré est également exprimée.
Le paragraphe 3 du Préambule tente donc un équilibre instable entre les "principes universels des droits de l'Homme" en plus "des acquis universels de la civilisation humaine" et "les acquis nationaux", "l'identité "arabo-musulmane" ou encore "les enseignements de l'Islam".
Entre des principes universels et des principes particuliers, pourquoi choisir?
La Constitution tunisienne sera une constitution sur tout, mais pas pour tous.