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Orient XXI à Tunis: Alain Gresh évoque la transition démocratique et le rôle des médias (INTERVIEW)

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Ils disent avoir "l’Orient au cœur" et veulent donner sur "cette région" - de l’Afrique du Nord à l’Iran – à la fois "plus d’infos" et une "vision différente que celle véhiculée par les médias mainstream". Journalistes, universitaires et diplomates, ils ont lancé le média en ligne Orient XXI à l’été 2013 – au même moment, d’ailleurs, que cet autre site électronique [www.huffpostmaghreb.com].

Un an et demi plus tard, Orient XXI a organisé une rencontre, vendredi 6 janvier à l’hôtel Africa de Tunis, à l’occasion du lancement de leur antenne à Tunis, composée des journalistes Larbi Chouikha et Thameur Mekki et de la politologue Olfa Lamloum.

Focalisée sur la question de la place des jeunes dans la Tunisie d’aujourd’hui, la rencontre a rassemblé ONG, pouvoir législatif, associations et anciens cyberactivistes. Si le média a choisi la Tunisie pour sa première initiative publique, "ce n’est pas un hasard", a annoncé d’emblée Alain Gresh, ancien directeur adjoint du Monde Diplomatique et co-fondateur d’Orient XXI. D’ailleurs, le projet, lancé en France, aimerait, à terme, être trilingue, et n’a pas vocation à donner la voix "aux Occidentaux qui veulent expliquer aux gens du Sud ce que doit être leur région", explique M. Gresh. Entretien en marge de la rencontre.

Vous avez choisi la Tunisie pour votre première excursion à l’étranger, vous dites que ce n’est pas un hasard. Pourquoi?

Nous avons commencé dans le sillage des révolutions arabes parce que nous pensions que la couverture du monde arabe en France et en Europe en général était insuffisante, à la fois quantitativement et qualitativement.

Pour faire quelque chose de différent, il fallait qu’il y ait plus de participation des chercheurs et journalistes du sud et qu’on élargisse la coopération pour en faire une plateforme méditerranéenne.

La Tunisie était le choix évident pour deux raisons. D’abord parce que c’est le berceau des révolutions arabes, et aussi parce que c’est quasiment le seul pays où il y a une vraie liberté d’expression. Même s’il y a des problèmes…

Justement, où voyez-vous la Tunisie aujourd’hui, 4 ans après sa révolution?

Je suis assez optimiste. Il y a deux défis essentiels: Le démantèlement de l’état autoritaire et les défis économiques et sociaux. Pour permettre de bien aborder les problèmes économique et sociaux, il faut au moins un accord, un compromis historique, comme ce qui a été fait pour la Constitution. Le deuxième pas, c’est la réforme du système judiciaire et policier.

Vous parlez de problèmes économique et sociaux. Vous êtes de sensibilité de gauche. Le pouvoir tunisien est aujourd’hui fortement marqué par l’économie libérale…

Quand il y a eu les transitions en Amérique latine, ça a d’abord donné des régimes démocratiques et des politiques néo-libérales. Les renversements ont eu lieu au bout de dix ans.

A moins d’une vraie révolution, où on brise l’appareil d’état, où il y a violence - et je ne sais pas s’il faut le souhaiter – il faut un cadre législatif au sein duquel mener cette bataille.

En 2012, j‘ai eu une rencontre avec Taïeb Baccouche, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères [Nida Tounes]. Il avait un discours anti-Ennahdha. Je lui ai demandé: Êtes-vous prêt à un gouvernement d’union nationale? Il n’a pas répondu. Beaucoup de choses les lient! Ca ouvre un chemin à une troisième voie, extrêmement difficile.

Dans la plupart des pays arabes, la gauche a été laminée face à son incapacité à faire son auto-critique et à se délester de ses slogans des années 50, complètement hors de la réalité.

La gauche, c’était les pauvres. Aujourd’hui, les gauches ne représentent plus les classes populaires. Il y a donc des possibilités pour la gauche tunisienne, il n’est inscrit nulle part que ça ne va pas marcher.

Aujourd’hui, c’est aussi le deuxième anniversaire de la mort de Chokri Belaïd…

Il y a un vrai problème de l’appareil policier et judiciaire. Commet faire sa transition ? C’est un appareil qui a l’habitude d’être dans les coulisses, de ne pas rendre de comptes. Je pense qu’une des erreurs qui ont été faites, c’est que la justice transitionnelle ne se soit pas mise en place. Pour l’appareil policier, il faut au moins une réforme progressive. On ne va pas éliminer tout l’appareil policier, bien sûr. Mais tout ça n’a même pas été pensé. On a découvert que cet appareil était présent, qu’on lui avait fait peur. Je pense que dans ces périodes de transition, il faut des compromis politiques, notamment avec les institutions de l’Etat.

Il faut trouver sous quelle forme ces institutions peuvent faire partie du pouvoir sans se sentir menacées. Si on va aux affrontements, c’est l’appareil d’Etat qui gagne.

L’autre acteur de la transition, les médias tunisiens, sont aujourd’hui critiqués, notamment pour impartialité. Il y a quand même du progrès. Mais il y a un manque de professionnalisme. Je ne crois pas au média neutre, mais il y a un minimum à assurer, comme vérifier les sources. Pendant tant d’années, la Tunisie a eu du journalisme en dehors du cadre déontologique minimum…

Autre problème: le pluralisme de la presse tunisienne. Je ne m’y connais pas très bien. Il y a bien la HAICA qui essaye de faire bouger les choses. Il y a la nécessité de trouver un mode de régulation – mais qui se pose aussi en France!

Il n’y a pas de démocratie sans médias. Aujourd’hui, les médias orientent. C’est important de considérer le média comme un service public. Ca ne veut pas dire qu’il appartient à l’Etat, mais c’est un service essentiel comme l’est l’éducation nationale.

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