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Tunisie - Lutte contre le terrorisme vs. bavures policières: Faut-il laisser les agents porter des armes en dehors des heures de service?

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Mercredi 7 janvier, une circulaire ministérielle a autorisé les agents de police à porter des armes en dehors des heures de service. En effet, les syndicats de police ont fait pression sur le ministère de l'Intérieur et particulièrement sur le ministre Lotfi Ben Jeddou afin qu'il accède à cette exigence suite à l'assassinat d'un de leur collègue par des éléments extrémistes une semaine auparavant.

Cette décision a suscité certaines craintes prenant en compte les pratiques controversées du système sécuritaire en Tunisie qui n'a pas encore été reformé, quatre ans après la révolution. Après une courte traversée du désert post-révolutionnaire, les forces de sécurité reprennent progressivement leurs marques.

La police post-révolutionnaire et la formation de syndicats

Durant le révolution, les relations déjà tumultueuses entre citoyens et agents de police se compliquent. En effet, le bilan fait état de 321 martyrs et 3727 blessés et ceci seulement durant la période s'étendant entre le 17 décembre 2010 et le 28 février 2011.

Face à l'opacité des investigations et à la banalisation de ces affaires déférées devant le tribunal militaire, les familles des martyrs et des blessés de la révolution accusent les forces de l'ordre et désavouent le système judiciaire et sécuritaire en règle générale.

La rupture entre les citoyens et l'institution sécuritaire continue à s'accentuer et la tension monte d'un cran lorsque Béji Caïd Essebsi, chef du gouvernement transitoire nommé en février 2011, traite certains des agents de "singes" lors d'une conférence de presse.



Les démonstrations de force des policiers se multiplient et des revendications syndicales voient le jour. En effet, les policiers demandent la reconnaissance légale des syndicats qu'ils ont formés et l'adoption de lois pour les protéger des menaces dont ils seraient les cibles.




La loi de 1982 portant statut général des forces de sécurité intérieure interdisait la création de syndicats ainsi que toute manifestation ou grève. Néanmoins, le gouvernement de Caïd Essebsi prendra à sa charge de céder aux exigences des agents des forces l'ordre et d'amender la loi en leur faveur.

"Art. 11 (nouveau) – Modifié par le décret-loi n° 2011-42 du 25 mai 2011 – Les agents des forces de sûreté intérieure ont le droit à l’action syndicale et de constituer, à cet effet, des syndicats professionnels indépendants de tous autres syndicats professionnels et de leurs unions (...) Il est interdit aux agents des forces de sûreté intérieure, dans l’exercice de l’action syndicale, de recourir à la grève ou d’entraver, de quelque manière que ce soit, la marche du travail."

"Art. 9 – Alinéa 4 nouveau – Ajouté par le décret-loi n° 2011-42 du 25 Mai 2011 - Les agents dirigeant les syndicats professionnels des agents des forces de sûreté intérieure peuvent donner aux médias des déclarations relatives à leur activité syndicale."


Cette interdiction levée, la présence médiatique des figures syndicalistes est devenue prépondérante alors que l'hégémonie policière s'est transformée en une réalité de plus en plus concrète.

Le port d'armes et le pouvoir discrétionnaire du ministre de l'Intérieur

L'étendue du pouvoir du chef du gouvernement Béji Caïd Essebsi a permis en 2011 par décret la création de syndicats de police sur lesquels planent des doutes de complots. Ces doutes sont le résultat de rumeurs sur l'existence d'un appareil sécuritaire parallèle et de conflits d'intérêts entre les divers syndicats.

A présent, le pouvoir discrétionnaire octroyé au ministre de l'Intérieur lui a permis d'accorder le droit de port d'armes aux agents hors service.

Une circulaire ne pouvant pas créer de loi mais seulement l'expliquer, l'initiative de Ben Jeddou sera considérée comme une interprétation du texte de loi de 1982 qui précise que le secteur de la sécurité est une force armée civile par définition.

Par ailleurs, la circulaire interne n'est pas obligatoirement publiée dans le Journal officiel de la République tunisienne et est donc difficilement consultable.

Les craintes engendrées par cette décision du ministère de l'Intérieur sont notamment dues aux incidents ou bavures mettent en cause des policiers et qui se sont multipliés ces dernières années, encouragés par un sentiment d'impunité et sous couvert de lutte contre le terrorisme.

Des méthodes répressives répandues

Pendant le régime de Ben Ali, l'institution sécuritaire était déjà souvent critiquée par les organisation de défense des droits humain, mettant en cause la répression violente contre les militants de l'opposition.

En 2011, la FIDH recueille les témoignages des victimes de violence policières afin de lutter contre l’impunité dans un contexte de dysfonctionnements graves de la police et de la justice:

"A Siliana, Hassan Lazar Dreidi, 34 ans, entrepreneur, n’a pas participé à la manifestation du 26 avril (2011). Il est issu d’une fratrie de 5 frères connus pour leur opposition au régime de Ben Ali (..) Dans la nuit du 26 au 27 avril, environ 300 policiers des forces de sécurité cagoulés (..) se sont déployés dans la ville pour procéder à des arrestations (..) ils s’en sont pris à son frère et à lui, les insultant et les frappant. Ils ont été placés dans une cellule, menottés, et y ont été de nouveau frappés et enduits d’encre noire dans le but de les faire passer pour des casseurs. Ils étaient en tout 22 jeunes à avoir été arrêtés cette nuit-là (..) Pendant 6 jours, ils ont été ligotés, frappés puis à nouveau frappés après avoir été placés dans la position du poulet rôti (suspension à une barre, pieds et poings ligotés). Ils étaient transférés chaque soir au poste de police de Bouchoucha. Certains policiers de Siliana venaient à Gorjani pour participer aux tortures (...) ils ont été placés sous mandat de dépôt, pour association de malfaiteurs, incendies volontaires et rébellion (..) Lors de ces deux auditions, Hassan a expliqué les violences dont il avait été l’objet, mais le juge n’a pas enregistré ses déclarations ni ordonné d’enquête."


Aujourd'hui, quatre ans après, la question posée par la FIDH concernant la volonté politique en faveur d'une réhabilitation tangible de ce circuit est toujours d'actualité surtout que l'engagement du chef du gouvernement actuel Habib Essid, ministre de l'Intérieur à l'époque avait été jugé insuffisant en 2011 dans ce même rapport de la FIDH.

Désormais, il est fréquent que ces bavures soient dénoncées par les médias. Mais le silence est toujours de rigueur.

En ce sens, l'association Reform avait déclaré que "81% des victimes de violence policière ne portaient pas plainte".


En plus de ces méthodes largement répandues des agents de police, les activistes, artistes et autres journalistes sont également de plus en plus visés.

En 2014, Reporters Sans Frontières a notamment dénoncé l'agression de plusieurs journalistes par les forces de police lors de procès à Kasserine et de manifestations sur le Grand Tunis.

Cette même ONG a aussi exprimé des inquiétudes relatives à aux condamnations arbitraires comme celle de Yassine Ayari fin décembre.

D'un autre côté, les femmes aussi sont particulièrement vulnérables, en atteste le cas Meriem Ben Mohamed, victime d'un viol collectif orchestré par des agents de police qui, après un procès de plus de deux ans, ont écopé d'une peine de 15 ans de prison chacun.

Par ailleurs, l'instrumentalisation de la loi sur "l'outrage à un agent public dans l'exercice de ses fonctions" continue. Ines Ben Othman, activiste et réalisatrice a été récemment condamnée à deux mois de prison ferme sous ce même chef d'accusation alors qu'Amnesty international avait condamné son interpellation et appelé à sa libération.

La lutte contre le terrorisme pour justifier les bavures policières

Le combat contre le terrorisme a fait de nombreuses victimes en Tunisie mais il a surtout révélé une incertitude quant au professionnalisme, à la formation et à la capacité de discernement des forces de l'ordre.

En 2013, un jeune homme avait été grièvement blessé par balle par des agents de sécurité à Ennasr. Il avait été, dans un premier temps, présenté comme un "terroriste", avant que l'erreur ne soit établie, sans que le ministère de l'Intérieur ne démontre sa volonté de rétablir la vérité.

LIRE AUSSI: Evènements à Ennasr: Intox de terrorisme, rumeurs d'alcoolisme


Durant l'été 2014, deux jeunes filles ont été assassinées à Kasserine, encore une fois par les forces de sécurité. Craignant un faux barrage, les victimes avaient refusé de s'arrêter, ce qui leur a coûté la vie. Cette fois, un mandat de dépôt sera émis contre deux agents impliqués dans ce drame.

La situation se complique encore lorsqu'on évoque l'implication de responsables sécuritaire dans l'assassinat du député Mohamed Brahmi en juillet 2013.

Finalement, la promesse d'une institution sécuritaire respectueuse des droits en Tunisie semble pour l'instant compromise, prenant compte de la situation globale des agents de sécurité et de leur ministère de tutelle. En effet, une stratégie de réformes ne semble pas être une priorité alors que le ministère de l'Intérieur se positionne au-dessus des lois, notamment en publiant une vidéo montrant les aveux de présumés terroristes et encritiquant la décision de la Haute instance de régulation du paysage audiovisuel (HAICA) d'interdire aux médias l'exploitation de ces images contraires au principe de la présomption d'innocence.

Considérant l'absence de réformes, l'impunité, les bavures et les dépassements au sein d'une institution sécuritaire controversée, l'autorisation fournie aux agents de police concernant le port d'armes en dehors des heures de service suscite de nombreuses inquiétudes.

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