SAMSUNG - Ces dernières années, Samsung Corporation a dû faire face à diverses accusations troublantes sur la santé de certains de ses employés sudcoréens, pays où se trouve le siège de la société. D’anciens ouvriers et leurs familles, ainsi que des syndicalistes, ont déclaré que les conditions de travail dans ses usines de semiconducteurs avaient entraîné une recrudescence de maladies telles que la leucémie et d’autres types de cancer chez certains employés.
Dans une nouvelle série d’articles, Le HuffPost Korea (Corée du Sud) et son partenaire, The Hankyoreh, rapportent que l’exposition aux produits chimiques sur la durée a peut-être eu des effets graves sur ces employés, mais aussi sur leurs enfants.
Le problème de la reprotoxicité -un phénomène au cours duquel les enfants tombent malade en raison de l’exposition sur la durée de leurs parents à différents composants chimiques- n’est pas très médiatisé parce que beaucoup de parents pensent qu’ils sont responsables de la situation et dissimulent l’état de santé de leurs enfants. Il est difficile, pour des gens qui n’ont parfois jamais pu se résoudre à tenir leur employeur pour responsable de ce qui leur arrivait, d’établir un lien entre leur emploi et les pathologies de leurs enfants.
Mondialement connus, Samsung Electronics et SK Hynix, leaders dans le secteur des semi-conducteurs en Corée du sud, ont l’un et l’autre nié tout lien entre les conditions de travail dans leurs usines et la reprotoxicité. Cette réaction rappelle celle qui avait accueilli les premiers rapports, en 2008, sur les "maladies industrielles liées aux semi-conducteurs", quand d’anciens ouvriers de Samsung avaient commencé à attribuer leurs leucémies et autres maladies à leurs conditions de travail dans les usines de fabrication de semi-conducteurs.
Samsung avait commencé par nier qu’un tel lien existait mais les tribunaux sudcoréens avaient jugé dans plusieurs cas que ces ouvriers étaient bien les victimes d’un accident du travail. Le géant technologique a finalement demandé pardon aux ouvriers et à leurs familles en mai dernier, et promis de les indemniser.
The Hankyoreh s’intéresse aujourd’hui à l’affaire encore méconnue des "larmes de la deuxième génération des semi-conducteurs". Cette affaire, première d’une série d’articles sur le sujet, explore l’histoire bouleversante d’une famille qui tente de survivre à une série de maladies chroniques résultant de l’activité professionnelle des parents. Les noms de toutes les personnes concernées ont été changés.
"Une photo du premier anniversaire de mon fils ? Je n’en ai aucune. J’étais trop occupée à supplier les médecins de le sauver quand il était hospitalisé". Kim Heeeun, 42 ans, mesure 1 m 75. Elle a grandi sur l’île de Wando, dans la province de Jeolla, où elle a vécu jusqu’à la fin de ses études secondaires. C’était une jeune fille robuste, et elle était rarement malade. Aujourd’hui, elle pleure quand elle parle de son fils Gunoo, né en 1999, de l’avenir douloureux de cet adolescent de 15 ans, et de la souffrance qui ne la quittera plus jusqu’à la fin de ses jours.
"Je prie pour qu’il ne soit pas malade et qu’il grandisse normalement." Note dans un album photo que Kim Heeeun a abandonné à la naissance de Gunoo. Crédit photo : Kim Heeeun.
Gunoo souffre de diarrhées continuelles depuis sa naissance, qui ne sont pas liées à son environnement, au moment où il s’alimente ou aux personnes qui l’entourent. La nourriture passe dans son système digestif et se transforme aussitôt en excréments. Gunoo n’aime pas les toilettes publiques, surtout à l’école, parce qu’il a peur des traces qu’il pourrait laisser derrière lui du fait de son état. Il doit toujours aller aux toilettes avant de se rendre à l’école le matin, et avant d’aller assister à ses cours du soir. Ce qui est un processus des plus ordinaires pour la plupart d’entre nous est pour lui honteux et douloureux. On ne sait si cela entraînera d’autres complications.
Gunoo, âgé de trois mois. Il vomissait constamment sa nourriture. Son estomac était boursouflé et il souriait rarement. Crédit photo : Kim Heeeun.
The Hankyoreh a rencontré la famille de Gunoo une deuxième fois le 3 novembre à Onyang, dans le comté d’Ulsang, après une prise de contact le 12 août. Le climat est beaucoup plus froid et plusieurs alertes météo ont été diffusées sur les chaînes du pays. La saison qui a vu Gunoo lutter pour sa survie dans les premiers mois de son existence est de retour.
"Né le 14 avril 1999 à 9h06. Il pèse 3,2 kg", avait écrit Heeeun. "Il est arrivé après quatre heures de contractions. Je suis fascinée. Je prie pour qu’il ne soit pas malade et qu’il grandisse normalement."
Le seul vœu exprimé par cette jeune mère aura été vain. Gunoo n’a pas fait de méconium – les premières selles d’un nouveau-né – avant 3 jours, une indication de la mauvaise santé d'un bébé. Son estomac a commencé à grossir et il a développé de fortes fièvres. Il a ensuite passé un mois en pédiatrie, aux soins intensifs. L’hôpital a décidé d’ouvrir son abdomen, expliquant que son gros intestin était emmêlé comme une pelote de laine. Une semaine plus tard, l’hôpital a procédé à une autre incision de vingt centimètres.
En novembre de cette année-là, à l’âge de huit mois, Gunoo a fait l’objet de deux opérations importantes et il a été transporté au Seoul National University Hospital, son petit corps frêle relié à une poche fécale. L’hôpital a rouvert son abdomen pour lui enlever le reste de son gros intestin.
"Je lui ai donné le sein jusqu’au 7e mois mais il vomissait tout, même quand je mélangeais ses médicaments avec le lait maternisé… Quand ils lui ont enlevé le gros intestin, il a fait dans sa culotte jusqu’à ses sept ans. Je n’arrive même pas à trouver les mots pour parler de cette époque-là."
Le Seoul National University Hospital a suivi Gunoo jusqu’à ses 13 ans, parce qu’une "ablation totale du gros intestin [n’avait] jamais été pratiquée" dans toute l’histoire de cet établissement. En décembre 2013, dernier jour du long voyage entre Onyang et Séoul, le médecin de garde a dit à Gunoo: "Remercie ta mère, pour tout ce qu’elle a subi". Cette remarque a déclenché un torrent de larmes chez Hee-eun. "C’est ma faute si Gunoo est comme ça", murmure-t-elle.
Hee-eun a travaillé dans l’usine de Samsung Electronic, à Onyang, de 1991 à 1998. Son père était fier d’elle quand elle a obtenu ce poste de fabrication de semi-conducteurs. Quinze ouvrières vivaient dans un dortoir de 80 m2 et faisaient des journées de 12 heures, avec deux équipes en alternance. En 1993, la cadence s’est légèrement ralentie, avec la mise en place d’une 3ème équipe, puis d’une 4ème équipe quelques années plus tard.
Hee-eun a alors eu le temps de rencontrer et de sortir avec son futur mari. "La société m’offrait des cadeaux quand j’étais en vacances, comme un lave-vaisselle ou un four à micro-ondes. J’avais alors l’impression de travailler pour un employeur qui prenait soin de moi, même si j’étais épuisée. Mes collègues avaient tout au plus 25 ans. Il n’était donc pas question d’avoir des enfants. On pensait toutes que c’était normal d’avoir les mêmes problèmes de santé et des règles irrégulières."
Il y a deux ans, elle a commencé à voir les choses différemment. Quand elle a retrouvé d’anciennes collègues devenues mères, elles lui ont parlé de celles qui étaient mortes ou qui étaient tombé malades, et de leur propre stérilité ou de leurs fausses couches. A la même période, elle a découvert la notion d’accident du travail et d’exposition à des substances dangereuses. De plus, en regardant le documentaire coréen Another Family l’été dernier, qui raconte l’histoire d’une femme aux prises avec des maladies industrielles liées au secteur des semi-conducteurs, elle s’est mise à crier: "Moi aussi, j’y étais !"
Gunoo (à droite) sur une photo avec son cousin après toutes ses opérations. Un mot sur la photo décrit cette période, quand Gunoo avait un an, comme "l’époque où maman et papa pleuraient tout le temps". Crédit photo : Kim Hee-eun.
Hee-eun repense à présent à de nombreux signes avant-coureurs dans son environnement professionnel. L’usine d’Onyang où elle a été affectée après une formation de six mois dans une autre usine venait tout juste d’ouvrir. Il y avait souvent des pannes, que des ingénieurs japonais sur place n’arrêtaient pas de réparer. L’une des clés de la fabrication de semi-conducteurs est la phase du moulage. Hee-eun versait un composé de moulage époxy (EMC) les puces semi-conductrices, qu’elle cuisait ensuite jusqu’à 180°C.
Toutes les ouvrières étaient aussi grandes que Hee-eun parce qu’elles devaient soulever manuellement et verser la solution chimique sur des machines qui faisaient leur taille, avant de laver les puces avec un autre produit chimique, la mélamine. D’après l’Institut de recherches sanitaires et de sécurité du travail (OSHRI), cette cuisson à 180°C génère des substances cancérigènes comme le benzène et le méthanal. Hee-eun, qui nettoyait ensuite elle-même sa combinaison, a découvert qu’elle était enceinte de Gunoo une semaine avant de quitter Samsung Electronics.
"Je déjeunais en 40 minutes pour respecter au maximum le planning des équipes. Je devais travailler 12 heures par jour, en transpirant continuellement. Personne ne m’a jamais suggéré de porter un masque, et j’ai envie de savoir si Samsung ne m’a rien dit sur les dangers de l’exposition aux produits toxiques parce qu’ils ne le savaient pas eux-mêmes", remarque-t-elle.
Hee-eun est actuellement traitée pour un cancer de la thyroïde, une polyarthrite rhumatoïde, une méningite et un cancer épithélial. Elle va à l’hôpital tous les six mois pour sa thyroïde, tous les trois mois pour sa méningite et tous les deux mois pour sa polyarthrite rhumatoïde. Elle doit retourner au Seoul National University Hospital tous les mois, bien que l’établissement leur ait dit, à elle et à son fils, de ne pas revenir après 13 longues années passées à fréquenter l’établissement. "Mon souhait le plus cher serait de pouvoir passer au moins une nuit sans souffrir", explique Hee-un. Quand elle a demandé une copie de son dossier médical des dix dernières années pour remplir une demande d’indemnisation liée à un accident du travail, la fonctionnaire lui a demandé avec effroi où elle avait bien pu travailler.
La famille de Gunoo n’arrive pas à trouver une mutuelle. Tout ce qu’elle peut demander, c’est une aide d’urgence et quelques autres dispositifs pour patients cancéreux. Le mari de Hee-eun, qui travaillait dans une usine de fabrication de papier, s’est quant à lui blessé la main dans une presse. Mais ils ne se souviennent pas d’avoir été indemnisés d’une quelconque manière que ce soit. Hee-eun, qui a dépensé plus de 1,5 million de won (environ 1 200 euros) pour faire soigner Gunoo, s’inquiète à présent du coût de sa propre thérapie. De plus, son assurance santé cessera de prendre en charge son cancer de la thyroïde l’an prochain.
Hee-eun a fait une fausse couche à la 26e semaine en 2007. Elle ne veut pas courir le risque de donner naissance à un enfant qui souffrira terriblement, et elle a décidé de ne plus en avoir.
Cet article a été publié à l’origine sur Le HuffPost Korea (Corée du Sud)
Dans une nouvelle série d’articles, Le HuffPost Korea (Corée du Sud) et son partenaire, The Hankyoreh, rapportent que l’exposition aux produits chimiques sur la durée a peut-être eu des effets graves sur ces employés, mais aussi sur leurs enfants.
Le problème de la reprotoxicité -un phénomène au cours duquel les enfants tombent malade en raison de l’exposition sur la durée de leurs parents à différents composants chimiques- n’est pas très médiatisé parce que beaucoup de parents pensent qu’ils sont responsables de la situation et dissimulent l’état de santé de leurs enfants. Il est difficile, pour des gens qui n’ont parfois jamais pu se résoudre à tenir leur employeur pour responsable de ce qui leur arrivait, d’établir un lien entre leur emploi et les pathologies de leurs enfants.
Mondialement connus, Samsung Electronics et SK Hynix, leaders dans le secteur des semi-conducteurs en Corée du sud, ont l’un et l’autre nié tout lien entre les conditions de travail dans leurs usines et la reprotoxicité. Cette réaction rappelle celle qui avait accueilli les premiers rapports, en 2008, sur les "maladies industrielles liées aux semi-conducteurs", quand d’anciens ouvriers de Samsung avaient commencé à attribuer leurs leucémies et autres maladies à leurs conditions de travail dans les usines de fabrication de semi-conducteurs.
Samsung avait commencé par nier qu’un tel lien existait mais les tribunaux sudcoréens avaient jugé dans plusieurs cas que ces ouvriers étaient bien les victimes d’un accident du travail. Le géant technologique a finalement demandé pardon aux ouvriers et à leurs familles en mai dernier, et promis de les indemniser.
The Hankyoreh s’intéresse aujourd’hui à l’affaire encore méconnue des "larmes de la deuxième génération des semi-conducteurs". Cette affaire, première d’une série d’articles sur le sujet, explore l’histoire bouleversante d’une famille qui tente de survivre à une série de maladies chroniques résultant de l’activité professionnelle des parents. Les noms de toutes les personnes concernées ont été changés.
"Une photo du premier anniversaire de mon fils ? Je n’en ai aucune. J’étais trop occupée à supplier les médecins de le sauver quand il était hospitalisé". Kim Heeeun, 42 ans, mesure 1 m 75. Elle a grandi sur l’île de Wando, dans la province de Jeolla, où elle a vécu jusqu’à la fin de ses études secondaires. C’était une jeune fille robuste, et elle était rarement malade. Aujourd’hui, elle pleure quand elle parle de son fils Gunoo, né en 1999, de l’avenir douloureux de cet adolescent de 15 ans, et de la souffrance qui ne la quittera plus jusqu’à la fin de ses jours.
"Je prie pour qu’il ne soit pas malade et qu’il grandisse normalement." Note dans un album photo que Kim Heeeun a abandonné à la naissance de Gunoo. Crédit photo : Kim Heeeun.
Gunoo souffre de diarrhées continuelles depuis sa naissance, qui ne sont pas liées à son environnement, au moment où il s’alimente ou aux personnes qui l’entourent. La nourriture passe dans son système digestif et se transforme aussitôt en excréments. Gunoo n’aime pas les toilettes publiques, surtout à l’école, parce qu’il a peur des traces qu’il pourrait laisser derrière lui du fait de son état. Il doit toujours aller aux toilettes avant de se rendre à l’école le matin, et avant d’aller assister à ses cours du soir. Ce qui est un processus des plus ordinaires pour la plupart d’entre nous est pour lui honteux et douloureux. On ne sait si cela entraînera d’autres complications.
Gunoo, âgé de trois mois. Il vomissait constamment sa nourriture. Son estomac était boursouflé et il souriait rarement. Crédit photo : Kim Heeeun.
The Hankyoreh a rencontré la famille de Gunoo une deuxième fois le 3 novembre à Onyang, dans le comté d’Ulsang, après une prise de contact le 12 août. Le climat est beaucoup plus froid et plusieurs alertes météo ont été diffusées sur les chaînes du pays. La saison qui a vu Gunoo lutter pour sa survie dans les premiers mois de son existence est de retour.
"Né le 14 avril 1999 à 9h06. Il pèse 3,2 kg", avait écrit Heeeun. "Il est arrivé après quatre heures de contractions. Je suis fascinée. Je prie pour qu’il ne soit pas malade et qu’il grandisse normalement."
Le seul vœu exprimé par cette jeune mère aura été vain. Gunoo n’a pas fait de méconium – les premières selles d’un nouveau-né – avant 3 jours, une indication de la mauvaise santé d'un bébé. Son estomac a commencé à grossir et il a développé de fortes fièvres. Il a ensuite passé un mois en pédiatrie, aux soins intensifs. L’hôpital a décidé d’ouvrir son abdomen, expliquant que son gros intestin était emmêlé comme une pelote de laine. Une semaine plus tard, l’hôpital a procédé à une autre incision de vingt centimètres.
En novembre de cette année-là, à l’âge de huit mois, Gunoo a fait l’objet de deux opérations importantes et il a été transporté au Seoul National University Hospital, son petit corps frêle relié à une poche fécale. L’hôpital a rouvert son abdomen pour lui enlever le reste de son gros intestin.
"Je lui ai donné le sein jusqu’au 7e mois mais il vomissait tout, même quand je mélangeais ses médicaments avec le lait maternisé… Quand ils lui ont enlevé le gros intestin, il a fait dans sa culotte jusqu’à ses sept ans. Je n’arrive même pas à trouver les mots pour parler de cette époque-là."
Le Seoul National University Hospital a suivi Gunoo jusqu’à ses 13 ans, parce qu’une "ablation totale du gros intestin [n’avait] jamais été pratiquée" dans toute l’histoire de cet établissement. En décembre 2013, dernier jour du long voyage entre Onyang et Séoul, le médecin de garde a dit à Gunoo: "Remercie ta mère, pour tout ce qu’elle a subi". Cette remarque a déclenché un torrent de larmes chez Hee-eun. "C’est ma faute si Gunoo est comme ça", murmure-t-elle.
Hee-eun a travaillé dans l’usine de Samsung Electronic, à Onyang, de 1991 à 1998. Son père était fier d’elle quand elle a obtenu ce poste de fabrication de semi-conducteurs. Quinze ouvrières vivaient dans un dortoir de 80 m2 et faisaient des journées de 12 heures, avec deux équipes en alternance. En 1993, la cadence s’est légèrement ralentie, avec la mise en place d’une 3ème équipe, puis d’une 4ème équipe quelques années plus tard.
Hee-eun a alors eu le temps de rencontrer et de sortir avec son futur mari. "La société m’offrait des cadeaux quand j’étais en vacances, comme un lave-vaisselle ou un four à micro-ondes. J’avais alors l’impression de travailler pour un employeur qui prenait soin de moi, même si j’étais épuisée. Mes collègues avaient tout au plus 25 ans. Il n’était donc pas question d’avoir des enfants. On pensait toutes que c’était normal d’avoir les mêmes problèmes de santé et des règles irrégulières."
Il y a deux ans, elle a commencé à voir les choses différemment. Quand elle a retrouvé d’anciennes collègues devenues mères, elles lui ont parlé de celles qui étaient mortes ou qui étaient tombé malades, et de leur propre stérilité ou de leurs fausses couches. A la même période, elle a découvert la notion d’accident du travail et d’exposition à des substances dangereuses. De plus, en regardant le documentaire coréen Another Family l’été dernier, qui raconte l’histoire d’une femme aux prises avec des maladies industrielles liées au secteur des semi-conducteurs, elle s’est mise à crier: "Moi aussi, j’y étais !"
Gunoo (à droite) sur une photo avec son cousin après toutes ses opérations. Un mot sur la photo décrit cette période, quand Gunoo avait un an, comme "l’époque où maman et papa pleuraient tout le temps". Crédit photo : Kim Hee-eun.
Hee-eun repense à présent à de nombreux signes avant-coureurs dans son environnement professionnel. L’usine d’Onyang où elle a été affectée après une formation de six mois dans une autre usine venait tout juste d’ouvrir. Il y avait souvent des pannes, que des ingénieurs japonais sur place n’arrêtaient pas de réparer. L’une des clés de la fabrication de semi-conducteurs est la phase du moulage. Hee-eun versait un composé de moulage époxy (EMC) les puces semi-conductrices, qu’elle cuisait ensuite jusqu’à 180°C.
Toutes les ouvrières étaient aussi grandes que Hee-eun parce qu’elles devaient soulever manuellement et verser la solution chimique sur des machines qui faisaient leur taille, avant de laver les puces avec un autre produit chimique, la mélamine. D’après l’Institut de recherches sanitaires et de sécurité du travail (OSHRI), cette cuisson à 180°C génère des substances cancérigènes comme le benzène et le méthanal. Hee-eun, qui nettoyait ensuite elle-même sa combinaison, a découvert qu’elle était enceinte de Gunoo une semaine avant de quitter Samsung Electronics.
"Je déjeunais en 40 minutes pour respecter au maximum le planning des équipes. Je devais travailler 12 heures par jour, en transpirant continuellement. Personne ne m’a jamais suggéré de porter un masque, et j’ai envie de savoir si Samsung ne m’a rien dit sur les dangers de l’exposition aux produits toxiques parce qu’ils ne le savaient pas eux-mêmes", remarque-t-elle.
Hee-eun est actuellement traitée pour un cancer de la thyroïde, une polyarthrite rhumatoïde, une méningite et un cancer épithélial. Elle va à l’hôpital tous les six mois pour sa thyroïde, tous les trois mois pour sa méningite et tous les deux mois pour sa polyarthrite rhumatoïde. Elle doit retourner au Seoul National University Hospital tous les mois, bien que l’établissement leur ait dit, à elle et à son fils, de ne pas revenir après 13 longues années passées à fréquenter l’établissement. "Mon souhait le plus cher serait de pouvoir passer au moins une nuit sans souffrir", explique Hee-un. Quand elle a demandé une copie de son dossier médical des dix dernières années pour remplir une demande d’indemnisation liée à un accident du travail, la fonctionnaire lui a demandé avec effroi où elle avait bien pu travailler.
La famille de Gunoo n’arrive pas à trouver une mutuelle. Tout ce qu’elle peut demander, c’est une aide d’urgence et quelques autres dispositifs pour patients cancéreux. Le mari de Hee-eun, qui travaillait dans une usine de fabrication de papier, s’est quant à lui blessé la main dans une presse. Mais ils ne se souviennent pas d’avoir été indemnisés d’une quelconque manière que ce soit. Hee-eun, qui a dépensé plus de 1,5 million de won (environ 1 200 euros) pour faire soigner Gunoo, s’inquiète à présent du coût de sa propre thérapie. De plus, son assurance santé cessera de prendre en charge son cancer de la thyroïde l’an prochain.
Hee-eun a fait une fausse couche à la 26e semaine en 2007. Elle ne veut pas courir le risque de donner naissance à un enfant qui souffrira terriblement, et elle a décidé de ne plus en avoir.
Cet article a été publié à l’origine sur Le HuffPost Korea (Corée du Sud)
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