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Élections législatives à Thala: Compter les votes dans la salle de mathématiques d'une école primaire, mode d'emploi (REPORTAGE)

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Thala la rebelle, la ville du gouvernorat de Kasserine qui a donné 6 "martyrs" à la révolution tunisienne, qui a incendié deux commissariats en deux ans, a passé une journée calme le 26 octobre 2014.

Les personnes âgées et les femmes sont allées voter le matin. L’après-midi, les administrateurs des 25 bureaux de vote ouverts dans les alentours se sont rongés les ongles.

"Les jeunes sont absents, c’est très triste", commente le directeur d’un centre de vote établi dans une école primaire. A deux pas, trois adolescents profitent de la concentration des forces de sécurité autour des élections pour sauter un mur et fumer des cigarettes dans le jardin de la mairie.


Après avoir voté, un groupe d'hommes âgés se pose pour jouer aux dominos.

"C’est la démocratie: On va voter, on va jouer aux dominos, et demain on ira au travail".

Autour des bureaux de vote, il y a plus d’employés de l’ISIE et d’observateurs que d’électeurs. Les observateurs des partis passent le temps en s’accusant mutuellement de fraude. Tout le monde aurait fraudé, mais personne n’a rien vu. Sauf un jeune de l’ATIDE, qui a vu de l’argent mais ne le dit pas à voix haute.

Du côté de l’ISIE, le discours est rôdé : "Ça s’est très, très bien passé".

À 18 heures, les portes se ferment. Commence alors l’autre rituel de la démocratie: le dépouillement.

Les mathématiques de la démocratie

Une équipe de quatre personnes – un chef et trois "assistantes" - vont compter les bulletins en présence d’observateurs dépêchés par les partis: Ennahdha et Nida Tounes s’assoient au plus proche des bulletins, Ettakatol, l’UPL et un indépendant s’installent derrière.

L’ambiance est à la précision. Les gestes du chef sont cérémonieux. Il parle beaucoup et porte ses lunettes sur le bout du nez comme un professeur de philosophie. Tout semble compliqué, même définir l’heure exacte, car tout le monde n’a pas la même heure.

Derrière lui, des tables de multiplications rappellent à l’audience qu’elle est dans une salle de classe de mathématiques. Les listes sont comptées et recomptées. Ils identifient une anomalie: il y a une signature en trop.

Une pause d’une demi-heure est décrétée pour aviser de la situation. Il faut sortir de la salle.

Dehors, les blagues fusent, un militaire se joint au groupe, il propose d’aller nager dans la rivière le lendemain.

Retour à l’intérieur, il faut compter les bulletins pour confirmer les listes. Désormais, interdit de sortir jusqu’à la fin. Le décompte commence.

Les "assistantes" ont les gestes las mais précis. L’observateur d’Ennahdha fait mine de s’endormir. Le téléphone du "chef" sonne, alors qu’il vient de demander d’éteindre les portables. Ils recomptent une deuxième fois. L’appel à la prière retentit. Le "chef" insiste pour recompter derrière les "assistantes". L’observateur d’Ennahdha bâille. L’indépendant compare les piles de bulletins de vote à des "Mlawi" (pain fin tunisien).

279 bulletins. Tout va bien, l’anomalie est corrigée. On peut continuer. Enfin: Commencer.

Le "chef" demande aux observateurs de se rapprocher, pour bien voir les croix qu’il montrera à l’audience pour chaque bulletin. Non, finalement, ils doivent reculer, ils sont trop près des bulletins. Le chef et une assistante dépouillent bulletin par bulletin. Une autre assistante prend note. Une troisième est au tableau, où les listes sont affichées, et va faire claquer ses talons en long et en large pour cocher des cases.

Dès les premiers bulletins, Nida Tounes se dégage, nettement. L’observateur du parti serre le poing et jette des sourires aux alentours, taquinant son voisin d’Ennahdha, un peu dépité. Ettakatol s’en sort bien aussi. Un de ses candidats gère un "publinet" à Thala, alors on l’apprécie. Car ici, c’est encore la 2G qui domine les ondes.

Le train-train s’installe. L’audience rigole de temps en temps quand un bulletin porte 5 croix ou quand un autre est barré de haut en bas.

Les 50 premiers dépouillés, il faut recompter (pour être sûr). Les 100 premiers dépouillés, il faut recompter (pour être vraiment sûr).

À chaque fois, il faut être "vraiment sûr".

Le "chef" finit par s’asseoir et fait signe à son assistante: "Vas-y continue, j’en peux plus". Il est un peu essoufflé.

Le "grand chef" du centre entre dans la pièce. Discussion.

  • Cette pile, c’est 50?

  • Cette pile, c’est 50.

  • Bon, on recompte (ils recomptent).

  • Et ça, c’est combien?

  • Ca, c’est 50 aussi.

  • Donc ces deux-là, ça fait 100 ?

  • Ces deux-là, ça fait 100.


On recompte. Ca fait bien 100. "Continuez".

Le "grand chef" sort. L’assistante peine à retenir son fou-rire.

Quelques bulletins plus tard, le chef est affalé sur sa chaise, l’assistante s’affaisse lentement sur la table. Elle a désormais la voix cassée à force d’annoncer chaque vote. Le chef a laissé tomber le dépouillement et prend des notes, les yeux rivés sur le manuel protocolaire de l’ISIE. Seule la troisième, celle qui coche des cases au tableau, semble en forme.

L’observateur de Nida Tounes est aux anges. Il trépigne. Le dépouillement est terminé. Mais ce n’est pas fini. Il faut recompter les votes, vérifier si les résultats d’une assistante correspondent aux résultats de l’autre. Et il faut recompter les bulletins (pour être encore sûr).

Le chef fait l’inventaire. Il faut tout renvoyer au centre de l’ISIE à Kasserine: les listes, les bulletins, les résultats, même les autocollants "interdit de fumer" et "interdit de téléphoner".

Pendant ce temps, deux assistantes envoient les résultats à l’ISIE. Par SMS. C’est laborieux, elles utilisent un vieux téléphone et le réseau est instable, à Thala. Le téléphone affiche "Demande de service". Elles soupirent.

Dehors, le convoi militaire attend. Il est 22h20. C’est long, la démocratie.

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