Depuis lundi, une vidéo "teasing" diffusée sur Youtube montre des représentants de partis politiques de tous bords dire "Nous avons signé". Qu'ont donc signé Ali Larayedh, Samir Taïeb, Kamel Morjane, Mohamed Hamdi, Khelil Zaouia, Imed Daïmi, Iyed Dahmani ou encore Yassine Brahim?
Il s'agit d'une charte d'honneur des élections que 23 partis politiques tunisiens se sont engagés à respecter. L'initiative, conduite par Omeyya Seddik en Tunisie, a été lancée par le Centre pour le dialogue humanitaire, une ONG basée en Suisse dont la mission est de faciliter le dialogue dans un pays donné, entre des parties qui risquent d'entrer en conflit.
Plusieurs spots seront diffusés à partir de ce mardi, sur plusieurs médias et sur internet. Dans un entretien accordé au HuffPost Maghreb, Omeyya Seddik présente la longue genèse de cette charte et sa finalité.
HuffPost Maghreb: Comment est née l'idée de la charte d'honneur pour les élections en Tunisie?
Omeyya Seddik: Au début, notre projet n'était pas conçu comme une charte. Pendant l'automne 2013, nous avons amorcé et facilité un dialogue entre les principaux partis politiques tunisiens, en vue de préparer les élections de 2014 et gérer à l'avance d'éventuelles crises. A partir de là, les partis ont voulu définir des règles pour les élections, en débattant avec des juges, des membres de l'Instance des élections de l'époque, des juristes… En 2014, voyant que les partis étaient réceptifs à notre initiative, nous avons organisé des rencontres entre eux, l'ISIE, la HAICA et la cour des comptes. Ce dialogue a abouti à l'élaboration d'un texte sur les principales questions qui pouvaient compromettre les élections: l'intimidation, la violence, les abus de pouvoir, le manque de transparence. C'est de là qu'est venue l'élaboration de cette charte.
Quelles sont les questions débattues par ces différentes parties?
Il s'agissait de problématiques très précises et détaillées préoccupant les partis politiques qui ont vécu, pour la plupart, l'expérience de l'élection de 2011. Les débats pouvaient se poursuivre parfois pendant sept heures d'affilée. Par exemple une question se posait, d'autant plus gravement que nous vivions une série d'assassinats politiques et d'attentats: que faire en cas de violence grave impondérable? c'est à dire en cas d'attentat, d'assassinat ou même d'une catastrophe naturelle, pendant les élections...
Combien de partis ont-ils participé à ces dialogues?
Environ 25 partis. Mais tous n'ont pas signé. Ce qui est intéressant c'est que tous ces partis diffèrent idéologiquement: on passe de Jabhat Al Islah (Front de la réforme: parti islamiste) au Front Populaire (coalition de gauche). Nous ne cherchions pas le consensus artificiel entre eux. Nous admettons les désaccords politiques, s'ils entrent dans le cadre de règles assurant la richesse du dialogue ainsi que la paix civile.
Des partis ont-ils refusé ce dialogue?
Aucun parti n'a refusé notre proposition de dialogue. Même Hizb Ettahrir n'a pas exprimé de refus et a accepté d'en discuter mais n'a pas donné suite au dialogue, vu qu'il a décidé à un certain moment de ne pas participer aux élections. Sinon beaucoup de partis étaient injoignables, avec des mails ou des numéros de téléphone invalides.
Quand le dialogue a-t-il commencé à se concrétiser officiellement?
Un texte collectif de la charte, inspiré des débats, a été rédigé avec la participation des partis. Le 22 juillet 2014, il y a eu une cérémonie officielle à l'Hôtel de ville de la Kasbah, en présence de Moncef Marzouki et de Mustapha Ben Jaâfar qui ont tenu a y participer, ainsi que les présidents de l'ISIE et de la HAICA. 20 partis avaient alors signé la charte. Nous avions pensé à annuler cette cérémonie parce qu'un attentat terroriste avait eu lieu quelques jours auparavant. Mais tous les partis, sans exception, nous ont encouragé à ne pas annuler, considérant que c'était justement une excellente réponse à la violence.
Concrètement, comment garantir le respect des principes énoncés dans la charte?
C'est la question qu'on se posait. Nous sommes une organisation non gouvernementale, pas une composante de l'Etat et nous n'avons pas le pouvoir que peut avoir l'ISIE par exemple. Donc, les partis pouvaient très bien signer officiellement la charte devant les caméras et ne pas la respecter par la suite. Nous ne voulions pas rester dans le formel des cérémonies. Après réflexion, on a dit qu'il devait y avoir un coût politique au manque d'engagement.
Un coût politique?
Une certaine perte de crédibilité qui résulterait des promesses non tenues sur cette charte.
Et la solution?
Des spots diffusés à la télé, à la radio et sur internet où les dirigeants des partis qui ont signé le 22 juillet doivent s'engager verbalement a respecter les règles discursives, financières et morales de la charte. J'ai été franchement surpris de voir qu'aucun parti n'a refusé cette proposition, même s'il y a eu des désistements au moment du tournage, car certains n'aimaient pas les textes des spots. Ce sont effectivement des textes assez explicites. Les hommes politiques disent à la fin du spot télévisé: "C'est pour cela que nous nous sommes engagés et que nous avons signé la charte. Pour que vous nous demandiez des comptes". Nous avons également conçu un spot en dessins animés pour expliquer les enjeux de ce texte.
Mais il y a plus de 90 partis participant aux législatives alors que seulement une vingtaine a signé.
Nous avons déclaré le 22 juillet lors de la cérémonie de signature que l'initiative était ouverte à tous les partis politiques. En plus, depuis que nous avons concrétisé notre projet, de nouvelles formations politiques et de coalitions se sont créées. Quoi qu'il en soit, nous avons sûrement commis des erreurs et nous réitérons notre invitation à tous les partis pour signer cette charte qui est faite pour fonctionner sur toutes les élections à venir.
Les partis politiques ayant signé cette charte n'ont-ils pas déjà perdu en crédibilité avec les dernières dérives observées, notamment l'affaire des parrainages de candidats à la présidentielle et les affichages illicites pendant la campagne pour les législatives?
Ces infractions sont graves et je ne veux pas les banaliser, mais elles ne sont pas l'apanage des nouvelles démocraties. En tant qu'observateur non officiel, j'ai constaté beaucoup d'anomalies pires que celles qui se font en Tunisie, mais cela ne doit pas nous amener à une vision nihiliste de la politique et de la démocratie. La Tunisie est un pays très politisé et les gens, malgré leur ras-le-bol, restent investis et préoccupés par la politique.
L'image de la classe politique n'est pas parfaite mais je crois qu'il y a parfois exagération sur la scène médiatique. Je n'en veux pas spécialement aux médias, simplement la vie réelle et la vie médiatique ne sont pas en harmonie. Malgré tous les défauts des partis en Tunisie, j'ai pu constater, à travers l'expérience de cette charte, un niveau important de responsabilité politique.
Lire l'intégralité de la Charte ici.
Il s'agit d'une charte d'honneur des élections que 23 partis politiques tunisiens se sont engagés à respecter. L'initiative, conduite par Omeyya Seddik en Tunisie, a été lancée par le Centre pour le dialogue humanitaire, une ONG basée en Suisse dont la mission est de faciliter le dialogue dans un pays donné, entre des parties qui risquent d'entrer en conflit.
Plusieurs spots seront diffusés à partir de ce mardi, sur plusieurs médias et sur internet. Dans un entretien accordé au HuffPost Maghreb, Omeyya Seddik présente la longue genèse de cette charte et sa finalité.
HuffPost Maghreb: Comment est née l'idée de la charte d'honneur pour les élections en Tunisie?
Omeyya Seddik: Au début, notre projet n'était pas conçu comme une charte. Pendant l'automne 2013, nous avons amorcé et facilité un dialogue entre les principaux partis politiques tunisiens, en vue de préparer les élections de 2014 et gérer à l'avance d'éventuelles crises. A partir de là, les partis ont voulu définir des règles pour les élections, en débattant avec des juges, des membres de l'Instance des élections de l'époque, des juristes… En 2014, voyant que les partis étaient réceptifs à notre initiative, nous avons organisé des rencontres entre eux, l'ISIE, la HAICA et la cour des comptes. Ce dialogue a abouti à l'élaboration d'un texte sur les principales questions qui pouvaient compromettre les élections: l'intimidation, la violence, les abus de pouvoir, le manque de transparence. C'est de là qu'est venue l'élaboration de cette charte.
Quelles sont les questions débattues par ces différentes parties?
Il s'agissait de problématiques très précises et détaillées préoccupant les partis politiques qui ont vécu, pour la plupart, l'expérience de l'élection de 2011. Les débats pouvaient se poursuivre parfois pendant sept heures d'affilée. Par exemple une question se posait, d'autant plus gravement que nous vivions une série d'assassinats politiques et d'attentats: que faire en cas de violence grave impondérable? c'est à dire en cas d'attentat, d'assassinat ou même d'une catastrophe naturelle, pendant les élections...
Combien de partis ont-ils participé à ces dialogues?
Environ 25 partis. Mais tous n'ont pas signé. Ce qui est intéressant c'est que tous ces partis diffèrent idéologiquement: on passe de Jabhat Al Islah (Front de la réforme: parti islamiste) au Front Populaire (coalition de gauche). Nous ne cherchions pas le consensus artificiel entre eux. Nous admettons les désaccords politiques, s'ils entrent dans le cadre de règles assurant la richesse du dialogue ainsi que la paix civile.
Des partis ont-ils refusé ce dialogue?
Aucun parti n'a refusé notre proposition de dialogue. Même Hizb Ettahrir n'a pas exprimé de refus et a accepté d'en discuter mais n'a pas donné suite au dialogue, vu qu'il a décidé à un certain moment de ne pas participer aux élections. Sinon beaucoup de partis étaient injoignables, avec des mails ou des numéros de téléphone invalides.
Quand le dialogue a-t-il commencé à se concrétiser officiellement?
Un texte collectif de la charte, inspiré des débats, a été rédigé avec la participation des partis. Le 22 juillet 2014, il y a eu une cérémonie officielle à l'Hôtel de ville de la Kasbah, en présence de Moncef Marzouki et de Mustapha Ben Jaâfar qui ont tenu a y participer, ainsi que les présidents de l'ISIE et de la HAICA. 20 partis avaient alors signé la charte. Nous avions pensé à annuler cette cérémonie parce qu'un attentat terroriste avait eu lieu quelques jours auparavant. Mais tous les partis, sans exception, nous ont encouragé à ne pas annuler, considérant que c'était justement une excellente réponse à la violence.
Concrètement, comment garantir le respect des principes énoncés dans la charte?
C'est la question qu'on se posait. Nous sommes une organisation non gouvernementale, pas une composante de l'Etat et nous n'avons pas le pouvoir que peut avoir l'ISIE par exemple. Donc, les partis pouvaient très bien signer officiellement la charte devant les caméras et ne pas la respecter par la suite. Nous ne voulions pas rester dans le formel des cérémonies. Après réflexion, on a dit qu'il devait y avoir un coût politique au manque d'engagement.
Un coût politique?
Une certaine perte de crédibilité qui résulterait des promesses non tenues sur cette charte.
Et la solution?
Des spots diffusés à la télé, à la radio et sur internet où les dirigeants des partis qui ont signé le 22 juillet doivent s'engager verbalement a respecter les règles discursives, financières et morales de la charte. J'ai été franchement surpris de voir qu'aucun parti n'a refusé cette proposition, même s'il y a eu des désistements au moment du tournage, car certains n'aimaient pas les textes des spots. Ce sont effectivement des textes assez explicites. Les hommes politiques disent à la fin du spot télévisé: "C'est pour cela que nous nous sommes engagés et que nous avons signé la charte. Pour que vous nous demandiez des comptes". Nous avons également conçu un spot en dessins animés pour expliquer les enjeux de ce texte.
Mais il y a plus de 90 partis participant aux législatives alors que seulement une vingtaine a signé.
Nous avons déclaré le 22 juillet lors de la cérémonie de signature que l'initiative était ouverte à tous les partis politiques. En plus, depuis que nous avons concrétisé notre projet, de nouvelles formations politiques et de coalitions se sont créées. Quoi qu'il en soit, nous avons sûrement commis des erreurs et nous réitérons notre invitation à tous les partis pour signer cette charte qui est faite pour fonctionner sur toutes les élections à venir.
Les partis politiques ayant signé cette charte n'ont-ils pas déjà perdu en crédibilité avec les dernières dérives observées, notamment l'affaire des parrainages de candidats à la présidentielle et les affichages illicites pendant la campagne pour les législatives?
Ces infractions sont graves et je ne veux pas les banaliser, mais elles ne sont pas l'apanage des nouvelles démocraties. En tant qu'observateur non officiel, j'ai constaté beaucoup d'anomalies pires que celles qui se font en Tunisie, mais cela ne doit pas nous amener à une vision nihiliste de la politique et de la démocratie. La Tunisie est un pays très politisé et les gens, malgré leur ras-le-bol, restent investis et préoccupés par la politique.
L'image de la classe politique n'est pas parfaite mais je crois qu'il y a parfois exagération sur la scène médiatique. Je n'en veux pas spécialement aux médias, simplement la vie réelle et la vie médiatique ne sont pas en harmonie. Malgré tous les défauts des partis en Tunisie, j'ai pu constater, à travers l'expérience de cette charte, un niveau important de responsabilité politique.
Lire l'intégralité de la Charte ici.
Liste des signataires de la charte:
- Ahmed Seddik: Parti Ettalia
- Belgacem Hassen: Parti de la culture et du travail
- Touhami Abdouli: Parti du Mouvement national
- Khelil Zaouia: Ettakatol
- Rached Ghannouchi: Ennahdha
- Abderraouf Ayadi: Wafa
- Rafaa Ben Achour: Nida Tounes
- Zouhair Maghzaoui: Mouvement du peuple
- Saïd Kharchoufi: Courant Mahaba
- Samir Taïeb: Al Massar
- Abderrazak Hammami: Parti du travail national démocratique
- Abdelwahab Héni: Parti Majd
- Imad Daïmi: CPR
- Ali Romdhane: Parti du travail tunisien
- Fouad Thamer: Parti du front national tunisien
- Kamel Morjane: Al Moubadara
- Mohamed Jmour: Parti unifié des patriotes démocrates
- Mohamed Hamdi: L'Alliance démocratique
- Mohamed Khouja: Front de la réforme
- Mohamed Goumani: Parti de la réforme et du développement
- Nizar Amami: Ligue de la gauche ouvrière
- Noureddine Khatrouchi: Parti de la construction maghrébine
- Yassine Brahim: Afek Tounes
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