
CONFLIT SOCIAL - “Nous boycottons tous, malgré nous!”. Étudiant en 5ème année de médecine à Rabat, Hamza Karmane, porte-parole et membre de la Commission nationale des étudiants en médecine du Maroc (CNEM), déclare au HuffPost Maroc que ses camarades n’ont plus de choix. En grève depuis plus de deux mois, ils ne comptent pas renoncer à leur mot d’ordre malgré les rappels à l’ordre lancé par le gouvernement qui, après ses tentatives de dialogue, a fini par les accuser de servir des agendas politiques et d’intensifier la crise.
Ce qui n’a pas tardé à soulever un tollé auprès de la CNEM qui a organisé, ce lundi à Rabat, une conférence de presse dans le but de se blanchir de toute accusation de cette nature.“Nous déclarons à l’opinion publique qu’en tant qu’étudiants, nous ne servons aucun agenda politique et nous n’avons aucune appartenance politique. Tout au contraire, nos revendications sont purement académiques liées principalement à la formation”, affirme au HuffPost Maroc le coordinateur du CNEM Ayoub Aboubiji, étudiant en 7ème année de médecine, soulignant “la stupéfaction” de la commission face à la récente sortie du gouvernement faisant d’elle une aile d’Al Adl Wal Ihssane. C’est à l’issue du conseil de gouvernement de jeudi dernier que le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, a lancé que “des parties, particulièrement le mouvement Al Adl Wal Ihsane, ont exploité cette situation pour inciter les étudiants à mener des actions servant un agenda contraire à leurs intérêts”. Et d’assurer que “le gouvernement n’hésitera pas à prendre les mesures légales en vigueur contre quiconque cherche à entraver le déroulement normal des examens”.
18.000 étudiants sont concernés
Le 10 juin, date du début des examens dans les facultés de médecine, aucun étudiant ne s’est présenté. D’ici la fin du délai accordé par le gouvernement pour le passage de ces examens fixé au 25 juin, le mouvement de boycott ne risque pas de faire machine arrière, à en croire la CNEM qui parle d’une mobilisation à 100%. “On ne se présentera pas non plus à la session de rattrapage après le 25 juin. Nous ne décrétons pas, pour autant, une année blanche et nous espérons que la session normale de l’examen soit reprogrammée”, annonce-t-il.
Ce boycott n’est pas sans conséquence pour ces grévistes notamment ceux résidant dans les cités universitaires. “A la CNEM, nous avons reçu une dizaine d’appels d’étudiants de Rabat, Oujda et Marrakech. Ils affirment avoir été avisés par la direction de la cité universitaire où ils résident d’un risque de renvoi de la résidence s’ils ne se présentent pas à l’examen et qu’ils ne seront pas autorisés non plus à se réinscrire pour l’année prochaine”, regrette le coordinateur de la commission, qualifiant ce comportement d’“indigne”. “Des étudiants sont aussi menacés d’être congédiés par la faculté s’ils ne passent pas l’examen”, ajoute-t-il.
18.000 étudiants de la 1ère à la 7ème année de médecine à travers le Maroc sont concernés. Ils campent sur leur position et se préparent à sortir dans les rues à nouveau pour rappeler leurs revendications. “Nous allons organiser une marche nationale tout de suite après la fin du délai des examens (25 juin). Nous n’avons pas encore fixé de date”, annonce le coordinateur. Et pour cause, Hamza Karmane explique que les étudiants veulent ainsi montrer que “leur mouvement ne s’inscrit pas dans la logique du conflit et qu’il est avant tout un mouvement citoyen visant uniquement l’amélioration de la situation dans laquelle ils sont formés au sein des facultés publiques”.
Ni de gagnants, ni de perdants
Pour Karmane, l’origine de la grève se trouve dans la crainte des étudiants de voir les conditions de leur formation “se détériorer” au fil des années. “Dans cet état des lieux, personne n’est gagnant ou perdant. Si les étudiants gagnent leurs revendications, c’est tout le pays qui gagne. Mais s’ils perdent suite à ce boycott et aux menaces dont ils font l’objet, c’est aussi tout le pays qui perd”, estime-t-il.
Le 30 mai, ces grévistes avaient organisé une première marche à Rabat au lendemain d’une conférence de presse conjointe entre le ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Saaïd Amzazi, et le ministre de la Santé, Anass Doukkali. Ces derniers avaient tenu à leur rappeler, à l’occasion, qu’un compromis leur avait été soumis le 14 mai, dans lequel 14 revendications sur les 16 présentées par la CNEM ont fait l’objet d’une “interaction positive”. A titre d’exemple, le gouvernement s’engage à maintenir le statut juridique actuel du concours des médecins, des pharmaciens et des médecins dentaires internes et de permettre à ces étudiants de bénéficier du système d’assurance maladie obligatoire.
Mais au sein de la commission, ce compromis n’est pas satisfaisant pour la grande majorité des membres. “Des points sur lesquels s’était engagés le gouvernement en 2015 ont été simplement réécrits dans ce communiqué du gouvernement et d’autres dupliqués trois fois, pour les trois filières médecine générale, médecine dentaire et pharmacie, pour donner l’illusion d’un effort supplémentaire”, constate le porte-parole du CNEM. Et de souligner qu’en vérité, les grévistes n’ont eu gain de cause que sur deux revendications: “nous avons obtenu l’annulation de la mention sur les diplômes et un retour à la situation de l’avant 2017 pour les étudiants de 7ème année, ce qui, pour nous, est simplement un retour à la normal”.