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Reportage au coeur de la médina de Tunis, où les vendeurs de souvenirs galèrent toujours

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Le souk de la Médina de Tunis ne respire pas l’optimisme. Le pays a beau avoir accueilli plus de touristes qu’il y a un an, les résultats restent encore bien en-deçà des chiffres de 2010. Dans les allées exigües de la vieille ville, les vendeurs des magasins d’artisanat et de souvenirs galèrent toujours. Pour subsister, ils puisent dans leur arsenal de tours de magie et de discours enjôleurs.

Les Chinois font dans le berbère

Au cœur de la "médina arabe", où les tissus se mêlent aux darboukas, tout n’est pas produit de la main d’œuvre tunisienne. Si les portefeuilles et les sacs en cuir viennent pour la plupart de la région de Nabeul, la moitié des tissus est importée du Proche-Orient. L’huile d’Argan du Maroc est diluée, parce que l’essence pure est à 200 dinars le flacon.

Ici, pas de contrebande: Les magasins sont régulièrement contrôlés. Mais si quelques bijoux sont encore produits entre les ateliers de la médina, le Nord du Mali et le Niger, d’autres sont des arrivages chinois.

"Des vendeurs les disent berbères, mais c’est des conneries", assène Kamel. 90% de ses bagues et bracelets sont made in China. Avant, les commerçants en importaient des vrais du Maroc. Mais depuis la crise, c’est devenu trop cher.


Pour faire des économies, les patrons emploient parfois des vendeurs sans expérience venus des régions de l’intérieur. Payés au pourcentage (de 10% à 30% en moyenne), ils doivent vendre un maximum.

Les boutiques tournent moins bien qu’avant.

Avec un chiffre d’affaire de 4000 à 5000 dinars sur le mois de juillet, les bénéfices de Kader ont fondu de moitié depuis 2010. Mais pour lui, pas besoin de mentir sur la marchandise.


Il affûte son savoir-faire depuis ses 7 ans, lorsqu’il venait aider son père l’été, dans ce magasin que la famille détient depuis près de cinq siècles dans la rue de la Mosquée Zitouna.

À l’instar de Kader, les vendeurs professionnels connaissent leur métier sur le bout des doigts.

Les "langues du souk"


Ils baragouinent tous plusieurs langues et valsent entre le français, l’italien, l’espagnol et l’anglais. À 22 ans, Karim ne travaille que l’été mais se débrouille en russe et en polonais - et reconnaît même le serbe. "Mais ça ne reste que des langues du souk", admet-il. "Rien de très élaboré".

Physionomistes, ils devinent les nationalités de loin et préparent leur discours. "Eux, ils sont italiens", annonce Kader en pointant vers une famille qui avance laborieusement parmi la foule.

"Ciao tutti, come vanno? Aspetate che solo voglio dire una cosa!", tente le vendeur. Ravis, ils lui répondent en italien.

Chacun apprend à sa manière. Si Kader "adore les langues", Karim a appris sur le tas, pour le boulot. Fayçal, qui vend depuis 18 ans des produits en cuir en face de la mosquée Zitouna, s’est muni des "petits livres d’apprentissage" et de "logiciels internet".

Un bon vendeur doit savoir bien parler. "A vous l’honneur, à moi l’argent", lance Kader à un groupe de Français.

Collés les uns aux autres et proposant des produits similaires, les commerçants sont dans l’obligation de se faire remarquer. Les Français se retournent en riant, ils ne l’oublieront pas. Parti acheter de l’eau à une centaine de mètres de sa boutique, Kader entend un accent marseillais.

Il l’imite rigolard et sympathise avec son interlocuteur en quelques secondes. Sans rien lui proposer, il le dépasse après lui avoir souhaité une bonne journée et presse le pas vers son magasin.

"Lui, je vais le choper quand il va passer devant la boutique, et il se souviendra de moi", glisse-t-il.

Pour marquer les esprits, Fayçal préfère aller chercher dans les expressions toutes faites. Après avoir poliment attendu la fin du discours du guide touristique, il ira saluer les "Bretons qui ont les chapeaux ronds" et la "gazelle de La Rochelle".

"Là-bas la bibliothèque nationale, ici les bibelots nationaux"

Une fois attiré dans le magasin, il s’agit de ne pas laisser le touriste repartir les mains vides. On analyse rapidement la demande. Les Français préfèrent les bijoux, les Espagnols chérissent les chichas et les Allemands sont friands d’épices.

Petites peluches, petites chichas, petits portefeuilles: Kader vend principalement des petits formats "parce que les gens veulent voyager léger".

"Là-bas la bibliothèque nationale, ici les bibelots nationaux", annonce-t-il parfois en éclatant de rire. Il articule toujours méticuleusement et prend soin de placer des références historiques à tout bout de champ pour s’attirer les faveurs des acheteurs. Il s’agit désormais de "mettre la magie dans leur tête".

"Si tu peux leur faire croire à l’histoire du singe qui poursuit un chameau dans le désert, c’est gagné". Pour faire plus de 40 à 50% de bénéfice habituel sur la vente d’un produit, Kader sait parfois inventer l’histoire de ce produit.


Il y a quelques années, un Suisse entrait dans sa boutique, intéressé par un petit tableau initialement acheté 15 dinars à un peintre tunisien. Kader le vexe – "vous n’y connaissez rien" – , et fait couler de l’eau sur le tableau, une astuce de peintre pour faire bonne impression.

Le collectionneur a fini par l’acheter. Pour 500 dinars.

"On est des connards et eux sont cons de nous croire", prétend Kader. Pourtant, les vendeurs du souk ne sont pas des arnaqueurs. Ils aiment leur travail. Karim aime "capter les gens avec leurs personnalités et leur caractère", et Kader apprécie une bonne discussion interculturelle sans vente à la clé.

Par ailleurs, les touristes ne sont pas dupes. Une Espagnole affirme que les prix sont corrects à partir du moment où on négocie.

"Evidemment qu’il y a des mensonges", raconte une autre. "Mais ça fait partie du jeu du souk". Et les vendeurs sont des joueurs confirmés.


En fin de journée, Kader tombe sur un couple.

  • Where are you from?


  • We’re from England!


  • Ah! Fish and Chips! You are from Newcastle, right?


Ils étaient de Newcastle. Kader, lui, n’a jamais mis un pied en Angleterre.

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