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Recep Tayyip Erdogan, de l'homme fort de la Turquie à la dérive autoritaire

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Douze ans de règne l'ont imposé comme le maître de la Turquie. Mais ses pratiques autoritaires et un scandale de corruption inédit ont aussi fait de Recep Tayyip Erdogan sa figure la plus contestée, à l'aube du scrutin municipal de ce dimanche 30 mars crucial pour son avenir.

A 60 ans, le premier ministre reste de très loin la personnalité la plus populaire depuis Mustafa Kemal Atatürk, le "père" de la Turquie moderne, avec pour principal crédit une décennie de succès économiques et de stabilité politique.

Et pourtant. Depuis que son Parti de la justice et du développement (AKP) a pris les rênes du pays en 2002, jamais sa position n'a paru aussi fragile. Retour sur l'itinéraire de cet homme fort qui s'est laissé tenté par la dérive autoritaire.

Dénoncé comme un "dictateur" par la rue en juin, le Premier ministre est désormais mis en cause dans une affaire politico-financière inédite qui fait vaciller le sommet de l'Etat, à la veille des élections municipales de dimanche et de la présidentielle d'août.

Depuis des semaines, ses adversaires le traitent de "voleur" et exigent sa démission. Des écoutes téléphoniques pirates le peignent en "parrain" extorquant des pots-de-vin aux patrons ou en autocrate imposant leur "une" aux médias. Et il est vilipendé dans le monde entier pour avoir bloqué Twitter et YouTube. "Il a définitivement perdu toute légitimité pour diriger ce pays", a tranché son principal opposant, Kemal Kiliçdaroglu.

C'est en cultivant cette image d'homme fort, proche des préoccupations du Turc de la rue, que ce gamin des quartiers modestes d'Istanbul a gravi les marches du pouvoir. Éduqué dans un lycée religieux, vendeur de rue, "Tayyip" a un temps caressé une carrière de footballeur, avant de se lancer en politique dans la mouvance islamiste.

Elu maire de la plus grande ville du pays en 1994, il triomphe huit ans plus tard lorsque son Parti de la justice et du développement (AKP) remporte les législatives et qu'il devient lui-même Premier ministre en 2003. Une nomination qui, loin de faire peur aux Occidentaux, les a rassurés.

"Les spectaculaires attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par Al-Qaida ont donné à l'AKP l'occasion de rassurer un monde occidental traumatisé, à la recherche d'un acteur incarnant un islam "plus modéré", souligne le journal Birikim dans un article traduit par Courrier International. "C'est dans ce contexte historique que l'Occident a accordé à l'AKP une confiance dont aucun parti étiqueté comme islamiste n'avait bénéficié jusque-là", ajoute Birikim.

Pendant des années, son modèle de démocratie conservatrice, alliant capitalisme et islam modéré, enchaîne les succès, dopé par les taux de croissance "chinois" de son économie. Réélu haut la main en 2007 puis en 2011, avec près de 50% des voix, il semble alors installé au pouvoir pour longtemps et rêve déjà à la présidentielle de 2014.

Le scénario déraille

Mais ce scénario déraille en juin 2013. Pendant trois semaines, plus de 2,5 millions de Turcs descendent dans la rue pour lui reprocher sa main de fer et ses mesures de plus en plus ouvertement "islamistes". Le chef du gouvernement répond par une répression sévère des "voyous" qui le contestent, mais son crédit démocratique en prend un sérieux coup.

Lui qui a fait de la prison pour avoir récité un poème religieux reproduit les réactions d'un pouvoir qu'il a autrefois subi. "On aurait pu attendre d'un homme qui a vécu ce genre d'expérience plus de compréhension, de tolérance et d'indulgence", a écrit dans un de ses éditoriaux le journaliste turc Hasan Cemal. "Depuis qu'il a pris le pouvoir, il a progressivement viré du pragmatisme à l'idéologie, du travail d'équipe aux décisions personnelles, de la démocratie à l'autoritarisme", résume Ilter Turan, professeur à l'université Bilgi d'Istanbul.

L'affaire de corruption qui a éclaté le 17 décembre dernier noircit encore le tableau. Recep Tayyip Erdogan a répondu par des purges sévères et des lois jugées "liberticides" dénoncées en Turquie, à Bruxelles ou à Washington.

Mais celui que ses rivaux brocardent parfois comme un nouveau "sultan" n'a pas capitulé. Loin de là. Comme lors de la fronde antigouvernementale de Gezi au printemps dernier, Recep Tayyip Erdogan a repris sa stratégie favorite, celle de la victime, et organisé la riposte. A chacune de ses réunions publiques, il galvanise ses troupes en agitant le spectre d'un "complot" contre la Turquie et sa personne, ourdi par ses anciens alliés de la communauté religieuse de l'imam Fethullah Gülen.

"Chef de bande"

Sur les estrades, il a repris son discours agressif et clivant pour mobiliser son camp afin de faire des élections locales un référendum autour de sa personne. "Il n'agit plus en homme d'Etat mais en chef de bande", déplore un diplomate, "sa fin est proche, la question est de savoir à quelle échéance et à quel prix pour le pays". Une véhémence qui l'a toutefois contraint de suspendre sa campagne deux jours avant le scrutin municipal. Après plusieurs semaines de harangues enflammées dans toute la Turquie, il a dû annuler deux réunions publiques à cause d'une extinction de voix.

Persuadé du soutien d'une majorité de Turcs, Recep Tayyip Erdogan espère pouvoir laver les accusations et les critiques dans les urnes, le 30 mars. Les affiches électorales à son effigie célèbrent sa "volonté de fer". Si ses ambitions pour l'élection présidentielle de 2014 restent vagues, il évoque désormais l'hypothèse d'un changement des règles de son parti pour briguer un quatrième mandat en 2015. Pas question de quitter le pouvoir.

"Si mon parti ne remporte pas la première place au scrutin municipal, je suis prêt à renoncer à la politique", a-t-il pourtant lancé. Difficile à croire.

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