L'offensive pour reprendre le bastion de l'État Islamique vient d'être lancée, mais les conflits au sein de la coalition ne seront pas sans conséquence.
L'attaque est lancée: la région de Mossoul, bastion de l'Etat Islamique en Irak, est sous le coup d'un assaut d'envergure depuis lundi 17 octobre, a annoncé le Premier ministre du pays. Derrière cette offensive, les Etats-Unis, la France, des combattants peshmergas Kurdes, le gouvernement irakien... et la Turquie, qui lutte pour ne pas finir sur le banc des observateurs.
Depuis décembre 2015, la Turquie a pris une part plus active dans la lutte contre Daech. Plusieurs centaines de soldats turcs ont notamment été envoyés en Irak afin d'entraîner des volontaires sunnites. Les Turcs avaient par ailleurs ouvert leur base aérienne d'Incirlik à la coalition, leur offrant ainsi un point d'appui stratégique. Et vendredi 14 octobre, le président Erdogan a réaffirmé sa volonté de jouer un rôle lors de l'offensive.
Pourtant, maintenant que l'attaque est lancée, la présence de la Turquie et surtout, le rôle qu'elle entend jouer après la libération de Mossoul, provoquent des crispations de part et d'autres.
Escalade de tensions entre les gouvernements irakien et turc
Plus de 7000 militaires de la coalition sont déployés sur le territoire irakien dans le cadre des opérations anti-terroristes. Parmi eux, des soldats turcs, envoyé en décembre 2015 sur la base de Bashiqa dans la région de Mossoul. Mais pour l'Irak, cette présence au sol des forces turques n'a rien d'une bonne nouvelle. Le 4 octobre 2016, le parlement irakien a demandé au gouvernement de prendre des mesures de rétorsions à l'encontre de la Turquie, estimant que les troupes à Bashiqa s'apparentaient à "des forces d'occupation". Une déclaration qui est intervenue au lendemain d'un vote turc prolongeant le mandat d'intervention des forces en question.
Depuis, c'est l'escalade entre Erdogan et Haider al-Abadi, le premier ministre irakien. Mardi 12 octobre, le président turc a ainsi affirmé que al-Abadi n'était "pas à (son) niveau" et l'a sommé de "rester à sa place". "Peu importe ce que dit le gouvernement irakien, la présence turque sera maintenue pour combattre Daech et pour éviter une modification par la force de la composition démographique dans la région" a précisé Erdogan, dans une intervention retransmise à la télévision.
Les Etats-Unis pris en sandwich
Washington, principal instigateur de l'offensive qui touche Mossoul, se trouve dans une position délicate. Le 12 octobre, le département américain a déclaré qu'il était "impératif que toutes les parties se coordonnent étroitement (...) afin de vaincre Daech". Pourtant, les relations entre les Etats-Unis et la Turquie sont loin d'être simples.
En décembre 2015, quelques temps après le déploiement des troupes turques sur le sol irakien, Barack Obama avait appelé Ankara à "respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Irak", en rappelant ses troupes. Une demande rejetée par Erdogan.
Mais plus épineux encore est le problème kurde, et les relations (et intérêts) qu'ils entretiennent. Pour les américains, la Turquie est un pays stratégique, en raison de ses frontières communes avec divers pays du Moyen-Orient. Lors du coup d'état turc en mai dernier, Barack Obama avait d'ailleurs appelé à soutenir le gouvernement "démocratiquement élu" du président Erdogan.
Mais les Etats-Unis entretiennent également des relations "apaisées" avec l'Unité de protection du peuple (YPD), branche armée du Parti de l'union démocratique (PYD), de plus en plus implanté dans le nord de la Syrie. Deux ennemis jurés d'Ankara, qui leur reproche leurs relations avec le Parti des travailleurs du Kurdistan, (PKK). Et pour le président turc, "l'EI et le PKK, c'est la même chose"
Les objectifs liés aux Kurdes incompatibles
Il y a ce qu'Ankara veut, ce que Washington veut et ce que les Kurdes veulent.En 1920, les Alliés et l'empire Ottoman signent le traité de Sèvres, censé redessiner le Moyen-Orient. Il prévoit, entre autres la création d'un état Kurde qui ne verra jamais le jour.
Depuis, les Kurdes n'ont de cesse de faire émerger leur communauté, et misent pour cela sur le pétrole. S'ils atteignaient leurs objectifs, le Kurdistan deviendraitun acteur majeur sur le marché pétrolier au Moyen-Orient. Pour les Américains, le calcul est simple: s'ils soutiennent officiellement le gouvernement de Bagdad, leurs sociétés n'hésitent pas à investir dans le pétrole exporté grâce au partenariat conclu entre turcs et kurdes, contre l'avis du gouvernement irakien.
Côté turc, l'objectif est tout autre: la Turquie n'entend pas une seconde céder un territoire qu'elle considère comme historiquement et religieusement sien. Et surtout, il est hors de question, en se faisant évincer de la bataille de Mossoul, de laisser les Kurdes imposer leurs lois.
"Préparer l'après-Mossoul"
Erdogan "est inquiet pour la future composition ethnique et confessionnelle de Mossoul et il veut s'assurer que les Kurdes et les chiites n'auront pas la haute main", estime Aykan Erdemir, de la Fondation pour la Défense de la démocratie basée à Washington, interrogé par l'AFP. Et ce, d'autant plus que le PKK est présent dans la région autonome kurde irakienne voisine de Mossoul.
Pour Soner Cagaptay, directeur du programme de recherche turc au Washington Institute, le discours musclé des dirigeants turcs montre qu'ils sont "en train de préparer l'après-Mossoul", en empêchant le PKK de "prendre le contrôle des territoires" après l'éviction du groupe Etat Islamique. "Ankara se rend compte que l'Irak restera un Etat faible et veut avoir une zone d'influence dans le nord pour se protéger des risques que fait peser l'instabilité de ce pays" qui partage une frontière de quelque 350 km avec la Turquie, ajoute-t-il.
Vendredi 14 octobre, Recep Tayyip Erdogan a menacé de recourir "à un plan B", voire à un "plan C", si la Turquie ne participait pas à l'offensive de Mossoul. Il n'a toutefois pas détaillé ces plans. Mais dès le lendemain, à l'occasion d'une réunion à Lausanne sur la Syrie, le président a annoncé qu'il présenterait dans la journée sa "proposition aux forces de la coalition". "Nous sommes prêts à combattre là-bas, contre Daech et d'autres groupes terroristes", a-t-il ajouté.
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